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Pierre Rosanvallon, 1968-2018 : cinquante ans de réflexion

Pierre
Rosanvallon a publié en septembre 2018, son nouvel essai : Notre histoire intellectuelle et
politique : 1968-2018
(Seuil). Cet ouvrage mêle deux points de
vue : celui de l’Histoire mais aussi celui personnel de l’auteur qui a
vécu cette Histoire. Il retrace donc l’Histoire longue du projet d’émancipation
de la société moderne qui correspond à l’évolution de l’auteur, étudiant en
1968, jusqu’à sa reconnaissance, aujourd’hui en tant que figure intellectuelle.

 

Mai 68 et les années 70 : L’enthousiasme d’une révolution

Pierre Rosanvallon explique qu’à
l’origine de Mai 68 se trouve le besoin d’autonomie de l’individu. C’est pour
cette raison que l’émancipation réclamée par les manifestants va se poursuivre
dans trois domaines lors des années 1970 : autonomie dans la vie
personnelle, amélioration du processus démocratique et émancipation du travail.
En 1968, l’auteur est étudiant à HEC, il ressent l’exaltation de ces années
mais avec un certain recul pragmatique. En effet, sa place en tant que
secrétaire confédéral de la CFDT, lui permet d’avoir accès au monde du travail.

« Les années d’hiver », les années 80 et 90

Le monde du travail que Pierre
Rosanvallon côtoyait, n’a pas connu son Mai 68. Les victoires obtenues à la
suite de ce mouvement sont des « victoires classiques », elles
réforment un domaine où la définition du travail n’a pas changé : travail
= salariat. Les lois Auroux de 1982, sont le fruit de ces années de lutte.
Elles ne réinventent pas la définition même du travail, elles améliorent la
condition salariale. C’est donc le sentiment de désillusion qui domine dans ces
années. La victoire de la gauche en 1981 ne suffit pas à mettre en place les
idées de Mai 68. C’est même le contraire qui se produit, F. Mitterrand instaure
un plan d’austérité. L’auteur, déçu, abandonne le terrain pour se réfugier dans
le travail intellectuel : « Nous avions le sentiment que ces idées
généreuses [celles de Mai 68] n’étaient pas assez construites ». Face à
cet « assèchement des idées », il éprouve donc le besoin de
« refaire le bagage d’idées ».

La cristallisation des aversions : les années 2000

Pierre Rosanvallon expose un
phénomène mécanique : quand l’avenir n’est plus défini positivement, les
aversions apparaissent. « Dans les moments de désarroi les émotions
l’emportent sur les intérêts. » Et c’est ce qui s’est passé à ses yeux à
partir des grèves de 1995. Notre situation actuelle est donc le résultat d’une
radicalisation de ces aversions. Ces répulsions se traduisent en politique par
une montée des populismes. L’auteur nous invite à prendre cette menace au
sérieux, « le populisme est d’autant plus haïssable qu’il est vague ».
Le définir c’est se donner les armes pour le combattre. La démocratie vacille,
aujourd’hui, car ce concept implique une consolidation et une réinvention
permanente. Pierre Rosanvallon insiste sur la nécessité d’intégrer le temps
long dans la démocratie sans quoi les questions qui concernent l’humanité et le
climat ne trouvent pas leur place. 

Pour lui, les citoyens doivent
reprendre les projets de Mai 68 pour faire aboutir le processus d’émancipation.
« Le sociétal commencé en 68 continue aujourd’hui ». Loin de lui
l’idée d’une nostalgie du passé, il appelle à « passer de la déploration à
l’action ».