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“La grande question de la philosophie moderne est de comprendre sa légitimité ”

Le dernier livre de Patrice Maniglier (philosophe et maître de conférence à Paris Nanterre) intitulé “La Philosophie qui se fait” a fait l’objet d’une des conférences de Cité Philo ce dimanche 10 novembre. Il a ainsi débattu avec le journaliste et philosophe Philippe Petit, ainsi qu’avec l’écrivain Olivier Cadiot sur la philosophie moderne. À la suite de cette conférence, ils ont apporté dans une interview des précisions sur l’ouvrage et leurs visions de la philosophie actuelle.


Dans ce livre d’entretiens avec Philippe Petit, Patrice Maniglier explique qu’aujourd’hui la modernité a un sens descriptif, elle est vécue comme un événement, et prescriptif, c’est-à-dire vécu comme un impératif : il FAUT être moderne. La thèse ici défendue est que la philosophie moderne s’appuie sur le structuralisme, donc sur l’interprétation des signes dans le monde métaphysique. “La métaphysique concerne l’être en tant qu’être, mais aussi l’être en général, des objets dont on ne peut faire l’expérience : Dieu, la liberté de l’âme et le monde. Galilée aurait révolutionné la Philosophie car on ne parle aujourd’hui plus du monde de manière rationnelle. La grande question de la philosophie moderne  est de comprendre sa légitimité, puisque les sciences ont déjà tout expliqué”, explique  Patrice Maniglier.

 Mais alors dans le domaine de la métaphysique qu’est ce qui intéresse les philosophes aujourd’hui et pourquoi ? Il y a le rôle de l’opinion dans les nombreux débats auxquels nous sommes confrontés actuellement. Selon l’auteur de «La Philosophie qui se fait», n’importe quelle opinion comporte une part de vérité. Notre époque a apporté l’invention de la singularité du sujet. On va ainsi privilégier une pensée sur laquelle tout le monde va se mettre d’accord. C’est finalement le rôle de la Philosophie moderne : rassembler tout le monde.

Nous nous identifions beaucoup plus qu’avant à autrui, et nous avons un besoin accru de philosophie, notamment à cause d’une crise  des sciences sociales. En effet “après la guerre, on a cru qu’il y allait enfin avoir des méthodes scientifiques pour expliquer le monde social. Cette promesse n’a pas été tenue. Aujourd’hui pour essayer de dire quelque chose par nous-mêmes on passe par la philosophie”, constate le philosophe


“Philosopher, c’est ouvrir un horizon”


La philosophie n’est pas dépassée, elle serait même un besoin, d’autant plus dans le contexte actuel de changement climatique. Nous vivons sous une continuelle menace sans que celle-ci n’ait vraiment de visage. Notre terre est en train de sonner une alarme, et la philosophie nous aide à comprendre cette urgence. La  métaphysique nous permet de penser le monde “ pour appréhender les objets qui déchirent le sens commun [NDLR : tel que le changement climatique ] La  philosophie c’est construire la pensabilité  des choses” .

Ce livre, l’explique Philippe Petit, “est une réponse au campisme” ( qui signifie le fait de s’identifier en fonction de camps politiques, idéologiques etc.), “ils [le peuple] veulent qu’on leur dise tout haut ce qu’ils pensent tout plat”. En s’identifiant dans des camps on utilise la philosophie comme un moyen élégant de reformuler une pensée qui est bien souvent limitée par ce campisme. Dans cette époque de plus en plus basée sur l’instantané et non sur la qualité, la philosophie se vit aussi de manière immédiate, sans réelle réflexion derrière : “la philosophie a une fonction purement décorative, alors que philosopher, c’est ouvrir un horizon”, rajoute Patrice Maniglier. Il faut  revoir notre rapport à la philosophie, ne pas la considérer comme un agrément. Elle est un savoir et non une conscience : “sciences sans conscience n’est que ruine de l’âme [ NDLR : citation de Rabelais ] mais conscience sans science n’est que bêtise”, commente-t-il.  


Avec ce livre Patrice Maniglier prend sa revanche sur la philosophie, sur ses professeurs qui lui disaient qu’elle n’était plus. Il dit que non celle-ci n’est pas, ne doit pas et ne peut pas être dépassée mais qu’elle est au contraire en continuelle évolution de ses acteurs et ses idées. “Ça ne peut plus durer cette histoire de fin” affirme Philippe Cadiot face à ceux qui déplorent la mort, la fin de la littérature, de l’art et de la philosophie, et le désintéressement dont ils seraient victimes.  

 Patrice Maniglier l’explique lui-même « Je veux renouer avec une sorte d’affirmation, être dans une proposition positive, la philosophie peut donner du courage» . Il prend notamment l’exemple des zadistes qui prennent au sérieux le problème du réchauffement climatique, et tentent de le solutionner avec de nouveaux modes d’action.  «La philosophie moderne libère les manières de faire, elle permet de dire que quelque chose est pensable»