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Une éducation féministe, est-ce possible ? par Nicole Mosconi et Vanina Mozziconacci

Il est souvent admis que l’égalité homme-femme s’enracinera par le
biais de l’éducation. Nicole Mosconi, professeure émérite en sciences de
l’éducation et Vanina Mozziconnacci, maîtresse de conférences en philosophie à
l’Université Paul Valéry Montpellier 3, invite à s’interroger sur la place du
féminisme dans le milieu scolaire.

 

L’impensé ou l’impensable

 

Un Émile mais pas d’Émilie ? Le célèbre traité
d’éducation de Jean-Jacques Rousseau sur « l’art de former les hommes »,
publié en 1762, n’a jamais connu son pendant féminin. Nombreuses sont les
femmes, à l’instar de Simone de Beauvoir, qui ont pourtant critiqué l’éducation
des jeunes filles. Mais rares sont celles qui se sont faites prescriptrices
d’une éducation alternative. « Il n’existe pas d’Émilie car l’Émile de
Rousseau est une robinsonnade,
explique Vanina Mozziconnacci. Robinson
Crusoé est érigé en modèle et en paradigme éducatif : l’homme doit être
capable d’assurer sa propre conservation, dans une perspective
individualiste. »
Mais cette position n’est pas celle de l’homme
social. La femme permet de maintenir les relations de la famille. L’individualisme
d’Émile n’est donc permis et possible que grâce à la dépendance d’Émilie. Pas
de Robinsonne, donc. L’éducation féministe est un impensé.

 

 Au début du XXème
siècle, Madeleine Pelletier rédige L’éducation
féministe des filles
, sans être elle-même convaincue de la portée de son
œuvre. Les féministes réformistes des années 70 militent pour donner une
éducation plus égalitaire aux enfants. A partir des années 1990, l’enseignement
de l’égalité dans les écoles se généralise sans qu’il parvienne à faire ses
preuves. La Convention de 2013 l’officialise dans les lycées et les collèges.
Il s’agit de transmettre une culture d’égalité et de respect entre les sexes et
entre les orientations sexuelles. Mais elle se révèle être peu efficace.
Aujourd’hui, les filles ont toujours moins le droit à la parole et acquièrent
moins d’attention que les garçons dans les salles de classe.   

 

Éducation féministe ou féminisme éducatif

 

Il n’existe pas une éducation féministe, mais plusieurs, à l’image
des mouvements pluriels qui se développent aujourd’hui. Ils reflètent
différentes perceptions de la société. A l’école, ces dynamiques peuvent
prendre des formes multiples : lutter contre les
stéréotypes, mettre en place des enseignements sexuels en non-mixité, inciter les
jeunes filles à suivre des cours d’auto-défense… Il est cependant nécessaire de
distinguer l’éducation féministe du féminisme éducatif. Le féminisme éducatif
postule que la transformation du rapport homme-femme repose sur l’éducation des
enfants. « Mais partir du début de la vie humaine, l’enfant, ne
signifie pas prendre un problème à la racine 
, alerte Vanina Mozziconnacci. Se reposer sur la génération future, c’est confier la
transformation sociale à d’autres, retarder le passage à l’action . »
Nicole Mosconi souligne quant à elle une autre problématique :
« le féminisme est politique et la politique est étangère à
l’école. »