La philosophie du territoire enseignée par les oiseaux, par Vinciane Despret
Invitée de
 Citéphilo le 25 novembre, la philosophe des sciences Vinciane Despret s’est
 entretenue avec la docteure en philosophie Esther Abin à propos de son ouvrage Habiter
 en oiseau (Actes Sud, 2019). Une conférence qui revient sur la délicate
 définition du concept de « territoire », à retrouver sur le site de
 Citéphilo.
L’actualité, notamment l’évacuation
 d’un camp de migrants à Paris le 23 novembre, nous rappelle sans cesse la
 dimension politique du « territoire ». Quelles sont ses délimitations ?
 Qui le contrôle ? Qui y est admis ou pas ? Comment proposer une étude
 philosophique d’une notion aussi politiquement chargée sans se piéger dans nos
 schèmes de pensée contemporains ?
Dans Habiter en oiseau,
 Vinciane Despret propose une autre approche du territoire, en l’observant par
 le prisme du comportement des oiseaux. Elle prend ainsi le contre-pied de
 nombreux travaux de chercheurs adoptant une conception du territoire comme
 forme de propriété privée remontant au XVII° siècle. L’étude des oiseaux permet
 de donner un nouveau souffle à cette notion : plus qu’un objet
 d’appropriation, le territoire est « rendu propre à celui qui l’habite »
 comme le souligne Esther Abin.
Territoire
 affecté ou affection du territoire ? 
« Tous les goûts sont dans
 la nature », dit le proverbe. Ainsi les bruants des roseaux (passereaux
 courants en Europe) démontrent la capacité des oiseaux à s’attribuer un
 territoire. Ceux-ci s’isolent du groupe pour occuper un promontoire qu’ils s’approprient
 et défendent. Cet exemple est nuancé par Julian Huxley et son observation de
 foulques macroules (échassiers présents en Europe et en Asie) installées près
 d’un étang ayant gelé pendant une nuit d’hiver : les oiseaux installés sur
 la partie de l’étang intacte sont restés territoriaux. En revanche, la glace a
 déterritorialisé les autres. Force est donc de constater que le territoire
 territorialise les oiseaux autant que les oiseaux territorialisent le
 territoire. Le territoire est ainsi une notion complexe ne répondant ni aux
 dialectiques d’agent-objet ou de voix active-voix passive. Vinciane Despret
 montre ainsi l’importance d’envisager le territoire par la « voix
 moyenne » (Bruno Latour, Sur le culte moderne des dieux faitiches)
 et lui redonne sa dimension temporelle.
« On reste
 dans des conceptions qui ne correspondent plus à ce que le monde attend de
 nous »
Habiter en
 oiseau propose une approche novatrice, ne permettant d’imaginer le
 territoire comme un « mille-feuilles d’usage ». Vinciane
 Despret y expose une étude à rebours de la philosophie classique, expliquant
 notamment qu’étudier des animaux lui a valu de nombreuses remarques de la part
 de ses confrères. Cependant, les approches classiques suffisent-elles pour
 aborder cette notion si existentielle que celle de territoire ?
 Correspondent-elles vraiment à « ce que le monde attend de nous » ?
 Plus qu’un échange sur les enseignements des oiseaux sur le territoire, cette
 conférence invite à repenser les cadres canoniques de la recherche en philosophie
 et également la manière de l’enseigner.

