Benoît Coquard et Yaëlle Amsellem-Mainguy nous offrent un regard sociologique sur la jeunesse rurale
Benoît Coquard et Yaëlle Amsellem-Mainguy sont sociologues, le premier a travaillé sur les populations rurales, la seconde a publié différents ouvrages sur la jeunesse. Ce jeudi à Citéphilo, ils sont venus nous présenter leur livre respectif et nous expliquer la démarche de leurs enquêtes sociologiques sur la jeunesse rurale.
Benoît Coquard a publié, en 2019, Ceux qui restent : faire sa vie dans les campagnes en déclin. Ce livre est le fruit d’une enquête sociologique immersive de long cours, entre 2010 et 2018, dans le Grand Est, sa région natale. Il a pu rencontrer plus de 200 jeunes qui n’ont pas quittés leurs villages, nouer des relations avec eux, faire partie de leur « bande de potes ». Benoît Coquard veut apporter une nouvelle vision de la ruralité, en opposition à la théorie très médiatisée de la « France périphérique » de Guilluy. Il parle de la campagne en déclin, déclin économique mais qui ne perd pas sa sociabilité. Les jeunes ruraux ne se disent pas invisibles ou exclus de la société, ils se reposent sur des modèles de réussite locaux : leur réussite sociale repose sur leur réputation locale. Cette réputation est culturelle, elle ne repose pas sur la réussite scolaire, sur le diplôme mais sur leur notabilité gagnée grâce à leur travail ou à leurs relations. Ils vivent dans un milieu très concurrentiel (car restreint), où ils se connaissent tous, leur réussite dépend alors de leur « bande de pote », les proches qui leur permettent de trouver un travail, une compagne…
Yaëlle Amsellem-Mainguy publie en 2021 Les filles du coin – Vivre et grandir en milieu rural. Son enquête s’est déroulée entre 2019 et 2020, dans quatre zones rurales : à Crozon, dans les Ardennes, dans le massif de la Chartreuse et dans les Deux-Sèvres. La sociologue s’est penchée sur les jeunes femmes de la campagne, les invisibles parmi les invisibles. Elle réalise une enquête en immersion, pour comprendre les relations et la position sociale de ces filles du coin. Elles aussi, elles critiquent la réussite « à la citadine ». Leur modèle de réussite sociale se fait grâce à l’effet de notabilité. Pour trouver un boulot, seul le patronyme compte, pas les diplômes. Yaëlle Amsellem-Mainguy présente une vision peu optimiste de la jeunesse quant aux discriminations sexuelles. Elle raconte l’omerta autour des violences sexistes et sexuelles à laquelle les filles sont contraintes, sans quoi elles perdent leur réputation et tout avenir professionnel ou relationnel.
La jeunesse rurale qui nous est présentée est socialement hiérarchisée : certains, les plus pauvres, sont exclus des cercles de sociabilité. Ces jeunes ne se sentent pas politisés, ils s’abstiennent en majorité et ceux qui votent sont souvent séduits par le RN. Benoît Coquard explique ce vote, non pas par les positions de Mme Le Pen sur l’islamisation ou l’immigration, mais par le discours sur le conflit social en France. Le RN est souvent qualifié comme le plus légitime pour parler d’eux.