Cédric Herrou, passeur d’humanité
Parmi les invités de Citéphilo, toutes éditions confondues, Cédric Herrou détonne. Chemise de bûcheron et chaussures de randonnée, il n’a pas l’allure d’un philosophe, mais la gouaille d’un militant. Il tutoie d’emblée, enchaîne les gros et les bons mots, tout en s’excusant d’être fatigué : « J’ai passé la nuit avec Guillaume Meurice, et les gauchistes sont des alcooliques notoires. »
Une leçon de fraternité
Du militantisme, Cédric Herrou se tient dans les 36 premières années de sa vie plutôt éloigné. L’agriculteur de la Vallée de la Roya a bien un côté anarchiste, mais hors de question pour lui de s’engager. En 2015, une décision politique vient mettre à bas la maigre confiance qu’il plaçait en l’État. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, des contrôles de police sont instaurés à la frontière franco-italienne. « On se retrouve témoin d’une chasse aux Noirs, toute personne noire dans un véhicule devient suspecte », raconte-t-il.
Un soir, alors qu’il rentre de ses livraisons en Italie, il croise des ombres sur la route, dont des enfants. Il s’arrête, ce sont des réfugiés qui souhaitent se rendre à la gare de Breil-sur-Roya. À cette heure-ci, elle est fermée. Alors Cédric Herrou propose à la famille de passer la nuit chez lui. Demain, il les conduira au train. Une évidence avant d’être un devoir.
La mécanique de l’hospitalité est enclenchée. Herrou découvre l’église de Vintimille, les conditions indécentes dans lesquelles les migrants y sont entassés. À partir de 2016, il aide à se rendre en France et héberge des centaines d’entre eux, principalement des mineurs : « Mon but, ce n’était pas de faire passer une frontière, mais de les détourner des dangers. »
Devenir un papillon
Cédric Herrou refuse d’établir une distinction entre l’action humanitaire et l’action politique. Comme il choisit la voie de la désobéissance, il connaît gardes à vue et convocations au tribunal. Lorsque le procureur veut le faire condamner à une peine de prison avec sursis, cette Antigone des temps moderne déclare avec le recul qui lui sied : « Ne mets pas de sursis. De toute façon, je continuerai. »
Face au harcèlement de l'État, de sa police et de sa justice, il faut épouser l’agilité du papillon, à laquelle le rouleau compresseur du système ne peut rien faire. Les policiers nous empêchent d’accéder à la gare ? Pas grave, on ira à Nice à pied, par la montagne. Herrou et les siens utilisent l’arme de l’État, le droit, pour la retourner contre lui, prouver qu’il agit dans l’illégalité, contre la Convention de Genève et contre la Constitution.
Dans des temps où ceux qui luttent ne connaissent souvent que la défaite, l’agriculteur prouve que la victoire est possible à condition d’être plus malin que l’adversaire. Sa technique pour ne pas devenir un militant aigri ? Faire la fête. Ça fatigue, mais ça redonne des forces. Une femme lui demande comment lutter à Calais, là où le froid du Nord empêche les papillons de survivre. Réponse de Herrou : « Il faut être une grosse mouche. Les grosses mouches, ça attaque les préfets. »