La rumeur court moins vite que le loup
Parmi les curiosités du Musée d’Histoire Naturelle de Lille, le mégalosaure suit d’un oeil attentif la conférence de Raphaël Larrère, auteur de l’essai « Le pire n’est pas certain » coécrit avec sa compagne et philosophe Catherine Larrère. Ce dimanche 28 novembre 2021, le chercheur et ingénieur agronome français s’aventure sur le territoire des loups pour contrecarrer la rumeur de leur réintroduction et de leur hybridation.
Loup y’es-tu ?
Le loup est venu, sans avoir été réintroduit, et reste. L’espoir d’une cohabitation pacifique avec les Hommes ou d’une élimination par les Hommes sera probablement déçu. « Le loup n’a pas demandé un VISA pour passer en France », rappelle malicieusement Raphaël Larrère. La remarque suscite quelques rires, mais une chose est sûre : l’anthropocentrisme en a pris pour son grade. L’ingénieur agronome balaie d’une main la potentielle réintroduction du loup et explique la cause d’un tel fantasme : « Les gens ont envie d’y croire. Ça leur permettrait de renforcer leur hostilité au parc, car si une espèce protégée est réintroduite manuellement et fait des dégâts, on peut l’éliminer sans conséquences juridiques. ». L’inefficacité des captures de loups décrédibilise la rumeur d’une intervention humaine. Les loups se promènent dans les bois… et traversent les frontières.
Que fais-tu ?
Se trouvant là, le loup agit sur le territoire français où se dénombrent pas moins de 106 meutes.
Raphaël Larrère souligne que les chiffres concernant leur activité sont minimaux : « Ne pas avoir d’indice de présence, ce n’est pas une certitude de l’absence ». Le loup en France, « fabuleux » selon l’ingénieur agronome, tue en moyenne 22,2 brebis. La théorie de l’ensauvagement des campagnes par les loups reflète une éternelle vision du monde dualiste opposant nature à culture : « Le sauvage est l’ingouvernable. Il se trouve que les frontières entre sauvage et domestique deviennent de plus en plus poreuses ». Les loups sont alors détestés parce qu’ils refusent une soumission aux Hommes.
M’entends-tu ?
Raphaël Larrère dément la rumeur d’hybridation des loups servant de prétexte pour déconsidérer son statut d’espèce protégée décrété depuis la Convention de Berne : « 2,5 % des loups en France sont des hybrides de première génération ». Plutôt que de trouver des moyens de l’exterminer ou de cohabiter harmonieusement à ses côtés, l’Homme doit penser sérieusement le loup et notamment ses capacités cognitives d’apprentissage et de transmission de l’information. Le chercheur mesure alors la diversité des situations. « Il y a des lieux à risques. Il y a des modes de conduite à risques. Il y a aussi des éleveurs à risques », énumère-t-il. Entre hostilité et utopie, le temps serait venu de négocier avec l’ennemi, de « faire avec » plutôt que de faire. En cela, la réconciliation avec les processus naturels se substituerait à l’imposition d’un projet concernant la nature.