Pour une compréhension des conflits sociaux par le prisme des émotions : les "épreuves de la vie" selon Pierre Rosanvallon.
Ce jeudi 2 décembre, Pierre Rosanvallon était invité à Sciences Po Lille, pour présenter son livre Les Épreuves de la vie. La discussion était animée par le philosophe Guillaume Le Blanc.
Guillaume Le Blanc, professeur à l’Université de Paris-Diderot, était chargé de présenter la conférence de Pierre Rosanvallon, auteur d’un « Livre évènement », pour reprendre ses mots. Il a offert une introduction très riche et fouillée, entre citations du livre et reprises des origines philosophiques des principaux thèmes du propos de Pierre Rosanvallon. Guillaume Le Blanc a ainsi proposé une relecture du thème de « l’épreuve » depuis les philosophes de l’Antiquité en passant par Montaigne. Le propos était intéressant, mais aurait peut-être gagné à être moins dense et plus bref, car après plus de 15 minutes d’introduction, l’amphi A de Sciences Po Lille semblait n’espérer qu’une seule chose : la prise de parole de l’auteur du livre, Pierre Rosanvallon.
La nécessité pour les sciences sociales de penser les émotions
Ce dernier a commencé en justifiant l’intérêt de son essai. La genèse de ce livre vient d’un constat : les sciences sociales d’aujourd’hui posent de bonnes questions mais n’offrent pas les réponses satisfaisantes. L’auteur a enchaîné en appuyant sur la nécessité de penser le rôle des émotions. Pierre Rosanvallon se pose dans l’héritage d’E. P. Thompson, le grand historien de la classe ouvrière anglaise, qui fut un des premiers à saisir l’importance des émotions, à travers le concept d’économie morale pour expliquer le début de la formation de la classe ouvrière anglaise et ses premières révoltes. Cette question de l’économie morale est revenue dans l’actualité académique avec les Gilets Jaunes ; les émotions sont au centre des revendications de ces derniers. Elles expliquent aussi le succès des partis populistes, « banquiers de la colère » selon Pierre Rosanvallon. Nos sociétés actuelles explique-t-il, ne sont plus gouvernées seulement par les conflits de classe traditionnels, mais aussi par les émotions. Il faut alors s’atteler à la compréhension du mode de production de celles-ci.
La notion d’épreuve pour expliquer les émotions
Il existerait ainsi trois types d’épreuves socialement structurantes. Ce sont d’abord les épreuves touchant à l’identité profonde des individus, les formes de domination destructrice, dont les rapports entre sexes sont le cœur. Ensuite viendraient les épreuves destructrices du principe d’égalité, les atteintes à la dignité et au respect dont les Gilets Jaunes sont une expression. Enfin, les épreuves de la condition humaine, qui sont marquées par les incertitudes (aujourd’hui l’incertitude sociale, climatique). Les mouvements sociaux seraient les réponses à ces épreuves qui restent largement absentes du langage politique.
Pierre Rosanvallon nous a parlé avec brio des principales thématiques qui sous-tendent l’écriture de son nouveau livre. Nous pourrons simplement regretter la trop courte durée de la conférence, puisqu’entre la longue introduction et la nécessité pour l’auteur de partir à 20h15, cela n’a pas laissé tant de temps au développement ou aux précisions sur sa thèse, que j’ai eu finalement le sentiment de n’avoir qu’effleurée.
Mais n’est-ce pas finalement l’objectif d’une telle conférence : prendre conscience de la profondeur du propos pour avoir envie d’aller le découvrir dans une lecture détaillée du livre ?