De l’étude des discriminations – raciales – aux réflexions pour en sortir, avec Julien Talpin
Julien Talpin est chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint au CERAPS, et a coordonné l’ouvrage L’épreuve de la discrimination, enquête dans les quartiers populaires, paru aux éditions PUF en février 2021. La conférence donnée par Julien Talpin propose une mise en perspective des enquêtes réalisées par une équipe de 7 chercheurs auprès de 250 habitants de 6 quartiers populaires.
Le fil conducteur de la réflexion est le suivant : si la preuve des discriminations se renouvelle via cette enquête, comment expliquer la quasi-absence de réponse à celles-ci de la part des pouvoirs publics ?
Stratégies individuelles de contournement des discriminations
Les chercheurs ont identifié certaines stratégies individuelles de contournement des discriminations comme les trajectoires d'expatriation vers la Grande Bretagne ou les pays du Golfe, les tentatives de discrétion ou d’effacement de marqueur ethno-religieux comme la barbe pour les hommes identifiés comme arabes ou musulmans ou les prénoms non français donnés aux enfants.
La mise au pas des mouvements antiracistes
Julien Talpin prend des positions salutaires en faveur des mouvements antiracistes. Il n’hésite pas à s’inscrire dans les débats d’idées au sein des sciences sociales, en refusant de rendre responsables les mouvements antiracistes d’ethniciser les débats, les identités et les luttes sociales.
De même, le sociologue explique les mécanismes de répression à l’encontre des organisations antiracistes comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI). Son expérience du terrain local enrichit cette analyse et l’illustre davantage. Il explique la difficile réception des institutions publiques au niveau local suite aux activités et à l’engagement des jeunes dans un centre social.
Moins de moyens alloués à la lutte contre les discriminations raciales
Julien Talpin souligne une baisse significative des moyens alloués à la lutte contre les discriminations dans la métropole lilloise depuis les 15-20 dernières années. Une baisse qu’il attribue à la montée de l’islamophobie dans le contexte de la lutte contre le terrorisme en France. Pour lutter contre le terrorisme, les crédits autrefois alloués à la lutte contre les discriminations ont été réorientés vers la promotion de la laïcité et de la lutte contre la radicalisation.
Moins d’antiracisme politique
En travaillant sur 10 organisations de lutte contre les discriminations raciales, Julien Talpin observe une surreprésentation des mobilisations de type “conscientisation” parallèlement aux difficultés à mobiliser dans le cadre de l’antiracisme politique. Si le travail de conscientisation reste important pour Julien Talpin, il souligne la nécessité d’orienter également les énergies vers des mobilisations qui s’inscrivent dans les rapports de force politiques. Julien Talpin explique cette réticence à s’engager dans des mobilisations davantage politiques par le coût de l’engagement que les jeunes observent chez leurs aînés, et par la canalisation institutionnelle de l’engagement militant.
On pourrait ajouter à cela l’émergence d’un antiracisme libéral voire néolibéral, plus inoffensif mais également davantage attractif pour les non blancs les plus favorisés. Ce dernier est plus facile d’accès (ne nécessite pas d’enseignement militant), plus facile à mettre en œuvre via les réseaux sociaux ou des événements d’ordre mémoriel. Il est également largement engagé et financé par les pouvoirs publics à l’instar de la panthéonisation récente de Joséphine Baker, qui ne répond en rien aux revendications des organisations de l’antiracisme politique. Cet élan donné à un certain antiracisme a pu resserrer l’étau autour de l’antiracisme politique, qui parvient tout de même à mobiliser lors de manifestations contre les violences policières, en faveur de la Palestine ou pour commémorer des massacres d’Etat comme le 17 octobre 1961.