Un cri dans l’art vaut mieux que mille mots
Dimanche 6 novembre, c’est symboliquement dans l’auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille que le philosophe Christian Ruby s’est intéressé, au cours d’une conférence animée par Stanislas d’Ornano à L’entrée du cri en l’humanité par les arts plastiques.
Après avoir exploré à plusieurs reprises les registres de la philosophie politique et de l’histoire de la philosophie, Christian Ruby concentre à présent son travail atour de la relation qui unit l’art à la société et la politique. Son dernier ouvrage, Des cris dans les arts plastiques, publié par La Lettre volée il y a quelques mois, s’intéresse au pouvoir du cri d’indignation dans l’art, de la Renaissance à aujourd’hui.
Le cri réel contre le cri artialisé
Si nous partons de la définition même du cri dans le dictionnaire, il est assimilé à un son perçant, et toujours dissocié de la parole. Pourtant c’est bien au cri visuel que Christian Ruby s’intéresse, et donc, à celui sans bruit. Mais, si dans la réalité, ce cri est dissocié de la parole et donc de la communication, dans l’art, il devient l’essence même de la transmission, une parole de résistance et de justice contre l’intolérable.
Après avoir défini ce cri, Ruby s’attaque à montrer la diversité et la pluralité des cris d’indignation qu’il définit « artialisés ». En effet, tous les cris ne se pensent pas de la même manière, que ce soit historiquement ou culturellement, le philosophe prend alors des exemples du moyen-âge avec un cri comme réponse divine ou bien séculière, quand ce dernier est d’origine humaine. Ruby insiste alors sur les nombreux modèles de cris possibles, qu’il convient donc d’articuler à quelque chose de précis.
La naissance du cri d’indignation
Durant la Renaissance, ce cri prend parfois des allures prophétiques pour illustrer mythes et légendes, sa source n’est alors pas humaine, il est la conséquence d’une force supérieure. Mais rapidement, il devient cri bien humain, qui sauve, et qui pousse une société entière à se libérer de tout asservissement, violence ou misère. Surtout quand un cri dans l’œuvre, devient une œuvre-cri. En 1789, Joseph-Désiré Court peint Mirabeau devant Deux-Brézé, ce cri peint qui se démultiplie pour se propager dans la salle atteint le spectateur et allume une réflexion, celle de la révolution.
Un cri qui devient une performance politique avec l’art moderne
Alors que l’artiste performe dans l’espace public, il se met lui-même en jeu, par des œuvres qui s’accomplissent en criant. Ce cri devient alors une protestation publique contre la déception face à des sujets actuels de rapport des êtres humains entre eux.
Si, au cours de l’histoire, il a pu être considéré par l’art comme une pulsion, aujourd’hui le cri d’indignation est bien à considérer comme une parole. Qu’il soit présent dans l’œuvre, ou devant l’œuvre, en se démultipliant pour se propager. Le cri peut également être présent comme réponse chez le spectateur, comme Jean-Luc Godard, indigné par une photo de Ron Haviv de 1993. C’est sur cette image que Christian Ruby achève sa conférence sur le cri d’indignation dans les arts plastiques.
Adèle Beyrand, ESJ Lille