Philosopher sur le corps et le sens de l’odorat
Ce sens animal et invisible pourtant si évocateur
Dernière conférence de Chantal Jaquet, qui s’achève avec la dernière partie de son travail, l’odeur. Tout au long des conférences, le spectateur curieux aura remarqué le goût de notre philosophe à construire des concepts nouveaux en lisant Spinoza. La consécration de cette démarche s’incarne dans la philosophie de l’odorat, objet « ignoré » en philosophie. Depuis la sortie de Philosophie de l’odorat en 2010, Chantal Jaquet a pensé pendant les dix dernières années la puissance de nos nez. Son travail culmine avec sa Philosophie du Kodo, un travail au Japon d’une nature beaucoup plus anthropologique.
Bernard Meurin est psychomotricien au CHU de Lille.
Erika Wicky est docteur en histoire de l’art.
L’odeur en philosophie
Faire du corps et de l’odorat une philosophie toute entière est un geste singulier. Finalement, le thème du corps, même quand il est disqualifié, est toujours en filigrane dans l’histoire de la philosophie. Quand Spinoza dit qu’il peut exister une unité corps et esprit, il suggère qu’il est possible d’expliquer les choses par le corps et sa puissance propre.
L’odorat est un sens très subjectif et trompeur, son appréciation se fait en fonction du sujet rapporté. L’individu cherche la valorisation ou non de ce qu’il sent. Par exemple, quand on perçoit une odeur, si on l’impute à autrui, alors qu’elle vient de nous, est elle qualifiée de mauvaise, l’inverse est vrai. La même odeur rapportée au sujet ou à l’autre révèle différentes visions du monde.
Un art par l’odorat ?
Dans le sens commun, l’art est avant tout visuel. Quand des objets artistiques en lien avec l’odeur apparaissent, la critique est défiante.
L’idée d’une esthétique olfactive est originale, elle suppose d’abattre les frontières entre différentes pratiques artistiques, notamment les odorantes. Cela remet en cause les habitudes traditionnelles, comme les musées, lieux ou sont remis en cause le touché et l’odorat.
Les travaux de Chantal Jaquet font lien avec les propos d’Erika Wicky. La pratique artistique exprime, explore la puissance des corps, l’expérimenter c’est comprendre la puissance insoupçonnée du corps.
Abolir les frontières
Chantal Jaquet prolonge sa réflexion en s’intéressant aux sociétés ou l’odeur est esthétique. Ce voyage olfactif l’a conduit au Japon, ou la voie des fragrances(l’art d’apprécier le parfum) est originale. Le kodo prends forme d’une cérémonie et d’un moment de rencontre. Le kodo brise les frontières sensorielles et corporelles car il réintègre le corps tout entier au sein d’une pratique artistique. Elle est une pratique collective, car chaque participant doit se passer le parfum.
La psychomotricité
Bernard Meurin nous explique les liens entre Spinoza et son métier, qui présuppose un rapport corps/esprit, puisque son travail suppose d’harmoniser le corporel et la pensée. En quelque sorte, la pensée spinoziste est le fondement de la psychomotricité, une médecine qui aide à organiser la gestuelle en fonction de la pensée. Chantal Jaquet trouve intéressant de lier à cette pensée à la médecine, car penser le corps c’est réfléchir à ses cas cliniques. Pour des malades, respirer éveille des souvenirs et aide au soin.
Amir Naroun