Journée thématique autour de l’art brut et de L’Anti-Œdipe.

Le samedi 26 novembre 2022 avait lieu au LaM, à Villeneuve-d’Ascq, une journée thématique autour de l’art brut, articulée en deux temps : le matin, une visite commentée de l’exposition temporaire « Chercher l’or du temps » (jusque fin janvier 2023) avec un focus sur l’art brut et ses liens avec la psychiatrie ; l’après-midi, une conférence-discussion autour de la postérité de l’ouvrage L’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari (1972), avec un focus sur l’anti-psychiatrie et la psychothérapie institutionnelle (invités : Camille Veit, et Jean Claude Polack).

La visite commentée de l’exposition « Chercher l’or du temps »

Le libellé de l’exposition « Chercher l’or du temps »englobe quatre thématiques et sous-champs artistiques : surréalisme, art naturel, art brut et art magique. La muséographie – en douze salles – repose quant à elle sur la soigneuse présentation d’un vaste panel de documents et œuvres – plus de quatre cents – à l’intérêt historique et artistique énorme ; on signalera par exemple, parmi la multitude de photographies, peintures et sculptures, des documents de travail d’André Breton ; des numéros originaux de la revue Art Brut ; ou encore l’Âne pourri de Dali.

On déplorera cependant que les thèmes centraux de l’exposition (art brut et surréalisme) soient parfois traités l’un après l’autre : la question des liens entre ces deux thématiques, pourtant annoncée comme objet même de l’exposition (sa présentation est qualifiée de « lecture croisée du surréalisme et de l’art brut »), semble parfois un peu laissée de côté. Même si plusieurs moments intéressants dans la muséographie vont dans ce sens. C’est le cas notamment en salle 6, intitulée « Une intelligence en guerre ». Les liens entre art brut (ici, l’art des aliénés, tel que pratiqué en psychiatrie, notamment à l’hôpital de Saint-Alban) et surréalisme y sont exposés à partir d’œuvres de patients et de documents d’époque. Une influence mutuelle résumée non sans humour par Lucien Bonnafé, grand nom de la psychiatrie, cité par les conférenciers : « Les surréalistes ont fait davantage pour libérer les fous que la psychiatrie elle-même ».

La conférence : Quel(s) héritage(s) pour L’Anti-Œdipe?

La conférence-discussion était organisée dans l’auditorium du LaM, autour de l’ouvrage de Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe.

L’ouvrage et ses thèses ont longuement été discutés. Livre militant, L’Anti-Œdipe traite des questions d’enfermement et de folie et paraît dans le sillage de Mai 68, alors que l’effervescence autour de ces thématiques est à son comble. Il est souvent considéré comme engagé contre Lacan (le fondateur de la « deuxième école » en psychanalyse, la première étant celle de Freud) et contre l’anti-psychiatrie (qui regroupe diverses mouvances refusant de donner à la psychiatrie une vraie valeur scientifique, voire à la considérer comme néfaste pour les malades). Mais les invités ont plutôt passé ce dernier aspect et étaient plutôt d’accord pour parler d’un ouvrage engagé contre certains disciples de Lacan, et non contre Lacan lui-même. A également été longuement évoquée la clinique de La Borde, lieu d’internement volontaire où les pratiques et soins cliniques sont alternatifs. Bien connue des auteurs, la clinique de La Borde est depuis les années 1950 l’un des hauts lieux de la psychothérapie institutionnelle, qui vise à humaniser les relations soignants-soignés et à mettre l’accent sur la qualité des soins prodigués.

La présentation a été marquée par un léger désaccord de fond entre les invités qui débattaient des considérations scientifiques de Guattari : le propos de Jean-Claude Polack, agrémenté d’anecdotes personnelles liées à sa proximité avec Guattari pendant douze ans au sein de la clinique de La Borde, ont été débattus par Camille Veit qui lui a opposé les paroles mêmes de Guattari dans l’ouvrage L’Anti-Œdipe; un désaccord cependant pleinement compréhensible puisque Guattari n’avait sans doute plus dans les années 1990 les mêmes considérations scientifiques qu’en 1972, lorsqu’il a cosigné L’Anti-Œdipe avec Gilles Deleuze.

Le public a également soulevé la question des conclusions de Deleuze et Guattari, qui rejettent bel et bien l’anti-psychiatrie. Sollicitée, Camille Veit a souligné l’importance de la psychothérapie institutionnelle comme une évolution positive des pratiques en psychiatrie.

On l’aura compris, cette journée a été l’occasion de débats et rencontres fructueux ainsi que de belles découvertes au détour de l’exposition « Chercher l’or du temps ». De quoi faire jalouser les spectateurs valenciennois de Philippe Descola, qui était également au programme ce samedi.

Jules Leroy, avec la contribution d’Elsa Levy

IEP – Sciences Po Lille.