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Le Neutre, un péché parfait pour éviter le conflit

Eric Marty, grand spécialiste de Roland Barthes et professeur émérite à l’Université Paris-Cité, est venu ce jeudi 9 Novembre au Palais des Beaux-Arts de Lille présenter la dernière édition du cours au Collège de France sur « Le Neutre », basée sur des enregistrements. Fidèle à la pensée du philosophe, cette édition se présente comme un troisième médium alternatif à la retranscription de ses notes ou aux CD présentant l’enregistrement oral du cours. Il est dans cette conférence accompagné par Joël Ganault.

« Dans cette langue, le masculin fait le neutre » : c’est sur cette citation d’actualité du Président de la République que Joël Ganault ouvre la conférence, démontrant par l’occasion la contemporanéité du concept : Emmanuel Macron « n’a pas lu Barthes ou Marty : il devrait ».

Le Neutre, ou annuler le paradigme.

Tout sens repose sur un conflit, ou le choix d’un terme en opposition à un autre. Inversement, chaque conflit crée du sens ; et c’est dans le Neutre que se trouverait le « trésor ». A savoir, un tertium entre les deux sens, ou remplissant les deux, permettant de répondre à une angoisse des sens. E. Marty précise que cette esquive permet de « neutraliser le sens tel que la société le conçoit, c’est-à-dire le sens commun ». En entrant dans ce sens commun, nous entrons dans le conflictuel, des rhétoriques de domination selon R. Barthes. Dans cette perspective, le Neutre naturalise les relations humaines, « c’est une éthique » qui veille à s’écarter de discours qui nous sont proposés.

Un scandale neutre ?

Tout d’abord, le cours de R. Barthes prend place dans un contexte très politiquement marqué, où de ce point de vue le Neutre peut être mal perçu. Mais en plus, il constate une « détresse de la pensée » en voyant son milieu devenir caricatural de la figure même d’intellectuel. E. Marty le définit comme une « dissidence par rapport à une domination théorique devenu scolastique », de ce fait « asystématique ».

Une notion variable et intemporelle.

Chacun.e trouve le Neutre où iel le veut, et R. Barthes essaye de le rendre le plus visible au sein de son cours en laissant le hasard choisir les figures illustratives qu’il utilise. Cette transgression du sens commun se doit de perpétuer pour éviter toute récupération et normalisation, au risque de perdre le Neutre. Il y a donc quelque chose de « presque impossible » dans cette notion, plus proche d’une « antiphilosophie » que d’une philosophie.

Notion d’ailleurs intemporelle s’il en est car elle constitue la base linguistique des queer studies, et figure notamment parmi les inspirations des travaux de personnes comme Judith Butler avec Foucault ou Lacan. Pour en donner une application concrète, E. Marty nous explique l’exemple du sourire Léonardien présent à la fois dans les personnages masculins et féminins. A ce titre, ce même sourire illustre l’idée butlerienne qui n’a pas pour objectif de forger une nouvelle identité parallèle au paradigme homme/femme, mais au contraire d’abolir ce dernier.

Bastien BRUNOOGHE