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Le travail vivant comme créateur de collectif dans les institutions psychiatriques

Est-ce que le travail se limite-t-il à la simple production de richesse et de choses utiles ? Le travail nous dépouille-t-il de toute individualité ?  En dépassant la distinction traditionnelle entre le travail et l’œuvre établie par Hannah Arendt, peut-on penser le travail sous un angle artistique ?

Lors d’une conférence qui s’est tenue le samedi 4 novembre au musée du LaM, Martine Deyres, Antoine Duarte, Olivier Derousseau, Jean-François Rey et Christophe Boulanger ont exploré les aspects psychologiques du travail en milieu institutionnel.

Dans un premier temps, Jean-François Rey a mis l’accent sur une facette souvent négligée du travail, le travail vivant qui ne se limite plus à l’exécution de tâches, mais prend la forme d’un jeu.

Le travail collectif de création filmique : création d’un cadre bénéfique aux patients

Ensuite, Olivier Derousseau nous a présenté son documentaire La tempête dans lequel le processus de création filmique revêt une dimension collective. Ce projet est né à la suite d’un atelier théâtre et gravure au sein d’un GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) de l’hôpital psychiatrique d’Aulnay-sous-Bois. À partir des gravures réalisées par les patients, est né un projet de film faisant résonner une polyphonie de voix. Chaque patient exprime ce qu’il souhaite partager, que ce soit la disparition de la verdure due aux travaux près de l’hôpital ou la création d’un texte.

Retour sur l’émergence de la psychiatrie institutionnelle et les bienfaits du travail sur les patients

Par la suite, Martine Deyres diffuse un extrait de son film Les heures heureuses composé exclusivement d’archives de films amateurs de l’hôpital psychiatrique Saint-Alban-sur-Limagnole. L’utilisation de la voix off fait résonner les souvenirs d’anciens infirmiers et nous invite à nous plonger dans ses images datant de la Seconde Guerre mondiale. La proximité entre patients et soignants egendre une nouvelle forme de psychothérapie dite institutionnelle qui contribue à éliminer toute forme d’aliénation sociale. Le travail des patients au sein d’ateliers et la vie quotidienne se mélangent pour créer du vivant et de l’utile. Le travail, par la confrontation au réel, favorise une entente collective permettant la création d’une cité au sens philosophique.

Parmi d’autres moments forts, des extraits de l’entretien qui a eu lieu à la clinique La Borde entre le psychiatre Jean Oury et Martine Deyres dans Le sous-bois des insensés ont été projetés. Dans ce documentaire, Jean Oury, l’un des médecins les plus influents de la psychothérapie institutionnelle, exprime un regard critique sur l’hôpital psychiatrique en tant qu’institution, metttant en avant la nécessité d’une connivence entre médecins et patients pour éviter tout rapports hiérarchiques.

Quelle reconnaissance accorder au travail artistique d’un malade ?

La conférence s’est conclue par un débat portant sur le travail d’Augustin Forestier, un patient hospitalisé de 1914 à 1958 à l’hôpital Saint-Alban. Ses œuvres, des sculptures qualifiées d’art brut, sont des assemblages d’objets glanés, tels que des os de boucherie, des morceaux de bois et de cuir ainsi que des déchets ramassés. Son travail acquiert une dimension vivante par une corpspropriation du monde où la confrontation répétée à la matérialité permet d’en découvrir plus sur soi-même.

Chloé Laurent