Katia Genel, maître de conférence à la Sorbone et Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, spécialiste en psychodynamique du travail
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Les origines de la souffrance des travailleurs et travailleuses

C’est devant une salle comble que Christophe Dejours a répondu à la question : « Sommes-nous condamnés à souffrir au travail ? », ce samedi 11 novembre. Présenté par Katia Genel, maître de conférences à la Sorbonne, l’exposé apparaît comme un résumé des conclusions que le psychiatre et psychanalyste a conclu à travers ses écrits et son expérience en clinique. Il est notamment l’auteur de Souffrance en France – la banalisation de l’injustice sociale, publié au Seuil en 1998. Avec humour et sans filtre, Christophe Dejours a donc abordé le thème de la souffrance au travail, pourtant loin d’être réjouissant.

Travailler, c’est souffrir sans être condamné

Christophe Dejours répond d’emblée à l’intitulé de la conférence : nous ne sommes pas condamnés, mais la souffrance est inévitable. Elle peut être une réaction à l’échec, que le travailleur ou la travailleuse cherche à éviter à tout prix, quitte à utiliser son intelligence afin de « tricher », c’est-à-dire contourner les prescriptions qui encadrent sa tâche. Cependant, cet échec est nécessaire. « Travailler, c’est d’abord échouer. », affirme le psychiatre. Mais cette souffrance n’a pas de conclusions déterminées. Elle peut évidemment déboucher sur un mal-être du travailleur, ayant des conséquences graves sur sa santé aussi bien mentale que physique, voire entraîner un suicide. Mais elle peut aussi stimuler l’intelligence, guider sa réflexion, et devenir une occasion d’accomplissement de soi. Le travailleur ou la travailleuse peut la transformer en plaisir.

L’organisation du travail, bourreau des travailleurs

L’organisation du travail se présente comme la principale cause de la souffrance au travail. Selon Christophe Dejours, il n’y a pas de consensus sur sa définition au sein de la communauté scientifique. Il donne cependant la sienne, issue de son travail en clinique. L’organisation du travail, c’est donc la répartition des tâches entre les différents individus, doublée d’un dispositif de contrôle du processus qui instaure une relation de domination. Le XXIe siècle a vu s’opérer le tournant gestionnaire, coupable de l’apparition des suicides sur les lieux de travail. Ce type d’organisation a remplacé les dirigeants, habituellement des ingénieurs ou spécialistes ayant une connaissance du travail, par des fonctionnaires qui n’en ont pas, et qui ne discutent qu’objectifs et performance. Ce tournant a également instauré l’évaluation individualisée des performances, qui encourage un jugement quantitatif plus que qualitatif du travail. Cela a pour conséquences la course aux nombres et l’accroissement de la rivalité au sein d’une entreprise. « La solitude est arrivée dans le monde du travail. », reconnaît l’intervenant. Cette pression de la quantité sur la qualité mène les travailleurs à prendre des décisions immorales mais qui amélioreront l’évaluation à laquelle ils sont soumis, et impose une souffrance éthique.

Malgré un sujet pesant, Christophe Dejours conclue qu’il est possible d’inverser la tendance et de réformer l’organisation du travail par le bas, afin d’échapper aux conséquences dramatiques de la souffrance au travail.

Axelle Sergent