Résistances de l’art contemporain
Ce dimanche, au théâtre de la Verrière de Lille, Laurent Buffet, théoricien, critique d’art et professeur de philosophie rencontrait le philosophe Christian Ruby, en clôture de ce premier week-end de Citéphilo. Leur dialogue portait sur le potentiel de résistance de l’art contemporain, une notion au cœur des derniers ouvrages des deux hommes, le premier étant l’auteur de Captation et subversion. L’Art à l’épreuve du capitalisme tardif (Les presses du réel, 2023), le second de La fécondité du vide. Essai, sur l’être, l’art et la politique (MKF éditions, 2024).
Résiste, prouve que tu existes
Une thèse répandue, qu’on trouve notamment sous la plume de Jameston, fait le constat d’une absorption de l’art par la société capitaliste, à son stade dit « tardif », au travers d’une intégration de l’art à l’économie de marché. Cette assimilation serait visible d’une part dans le design généralisé, et d’autre part dans l’organisation même du travail, qui valorise aujourd’hui la créativité et l’originalité.
Laurent Buffet a répondu à cette thèse en mettant en avant la capacité de l’art à se transformer selon son contexte social de réception, à faire preuve d’une dynamique distincte de celle de société… bref, à résister à cette dissolution. C’est ainsi que face à « l’inflation esthétique » du capitalisme tardif (la multiplication de produits à la fonction identique mais au design différent), certains artistes se sont lancés dans un processus de dé-esthétisation de l’art.
Au fond, parler « d’art contemporain » c’est utiliser un mot en constante redéfinition, mais dont un des traits constants est d’être ce qui bouleverse, au moment où je parle, ce qui secoue les écoles d’art et les musées… « Être contemporain, en art, veut dire refuser son propre temps. », conclut Christian Ruby.
La question du vide
Pour ce dernier, le vide est une des caractéristiques de l’art contemporain, par nature plurivoque et disséminé, travaillant souvent à vider les certitudes ou les grands fondements. Dans son ouvrage, il développe une philosophie qui célèbre le vide comme une condition nécessaire à la vie. Comment pourrions-nous construire quoi que ce soit dans un monde plein ? Par-là, l’art contemporain devient un des outils capables de répondre à la nécessité pour les humains de vivre avec le vide, et non contre lui ou en dépit de lui. Ce qui, à bien des égards, aide à résister au trop plein de notre époque.
Le regard philosophique en question
Les deux hommes sont revenus sur la pertinence de l’approche philosophique de l’art contemporain, notamment en l’opposant à une approche sociologique. Laurent Buffet a revendiqué se servir de la philosophie comme d’un outil à même d’enrichir son expérience de critique d’art, à la base d’une réflexion qui entend parler de l’art de l’intérieur. En cela, il s’oppose aux analogies de structures construites à la hâte par certains sociologues. Mais cette opposition philosophie/sociologie ne convainc pas totalement Christian Ruby, qui a préféré rappeler l’existence de débats vivaces au sein même du champ philosophique.
En soit témoin la grande richesse des échanges entre deux de ses représentants, à laquelle on ne résiste pas.
Antonin Marquilies