Descartes, dentiste et conscience : de la relation corps-âme au mind-body problem.
Ce mercredi 13 novembre, les marches de l’auditorium du palais des Beaux-Arts descendaient en plein cœur du thème du festival, celui du corps. Souriant sur l’estrade alors que les derniers murmures s’évanouissent, François Loth, docteur en philosophie et chercheur associé à l’Université de Rennes 1, s’apprête à retracer l’itinéraire d’une question classique en philosophie, celle de la relation de l’âme et du corps, en suivant sa piste jusqu’à son avatar contemporain : « le mind-body problem ».
Une histoire de rage de dents
Nous avons tous déjà eu une rage de dents. Ou du moins savons-nous suffisamment ce dont il s’agit pour agréer que, d’une part la carie, et d’autre par la douleur, sont deux choses distinctes. Cela est marqué par la connaissance directe et immédiate que j’ai de ma douleur (je n’ai pas besoin de vérifier que j’ai une carie pour le savoir), et par la nature intime de le conscience (même blessé, si je n’ai pas conscience d’avoir mal, c’est que je n’ai pas mal). Ces marques dessinent au quotidien une différence entre l’esprit et le corps. Comment comprendre la distinction de ces deux concepts, et quelle est leur relation ?
De Descartes au mind-body problem
Descartes introduit au XVIIe une distinction entre le matériel (le corporel) et le non-matériel (le pensant), appelée dualisme. Problème : l’âme et le corps son unis en l’homme, comme on le voit quand le mental cause un comportement physique. Comment sont-ils unis ? Descartes ne sait l’expliquer.
Au XXe, la question se trouve reformulée avec les apports de la science : comment un esprit peut-il initier une chaine causale d’événements physico-neuronaux ? Ding dong : voilà le mind body problem. A cela le siècle propose trois réponses sous les noms de behaviorisme (l’esprit n’est rien d’autre qu’une « disposition à agir d’une certaine façon », comme l’écrit Ryle), de théorie de l’identité (l’esprit est simplement le cerveau, comme la pression d’un gaz est sa température : il n’a pas d’existence distincte), et enfin du fonctionnalisme. Cette dernière thèse veut que le mental pourrait être réalisé par n’importe quel support, biologique ou non, puisque l’essentiel est la fonction qu’il exécute. Cette théorie est la plus largement partagée aujourd’hui.
La conscience, caillou dans la chaussure fonctionnaliste
Au-delà des phénomènes mentaux « simples » (sensation, émotion, croyance…), il y a ce que D. Chamlers appelle le « hard problem » : la conscience. En effet, il est curieux, si le mental n’est que fonctionnel, que je puisse faire en première personne des expériences telles que celles du goût, de l’ouïe, de la douleur… Le monde fonctionnaliste tournerait aussi bien sans l’expérience intérieure du son. Et pourtant, il y a Beethoven, et Beethoven c’est bien plus que des vibrations de mes tympans.
Nouveau débat, donc, que faire de ces contenus subjectifs de la conscience appelés « qualia » ? Considérer qu’ils n’existent pas vraiment (éliminativisme) ? que leur compréhension est au-delà de nos capacités (mystérianisme) ? que le problème est mal posé et résulte d’une illusion introspective (illusionisme) ?
Même avec la grande finesse de M. Loth, deux heures n’auront pas suffi à trancher. Cette conférence ressemblait décidément à une invitation.
Antonin Marquilies