L’ère du « bullshit » ou la redéfinition des rapports à la vérité
Ce dimanche 16 novembre 2024, Citéphilo a ouvert un échange entre Gloria Origgi, philosophe et directrice de recherche au CNRS et Claudine Tiercelin, professeure au Collège de France, titulaire de la chaire de métaphysique et de philosophie de la connaissance, sur le thème « Rationalité, Vérité, Démocratie ». Une discussion autour des défis de l’époque contemporaine dite de la « post vérité », en résonnance avec l’actualité de la réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Le goût du vrai a-t-il disparu ? La victoire de Donald Trump le 5 novembre 2024, malgré ses discours ponctués de fausses informations interroge sur notre rapport à la vérité. Si l’indifférence au vrai s’incarne dans les discours des sophistes dès l’Antiquité, le trumpisme en propose une nouvelle dimension, que le philosophe américain Harry Frankfurt décrivait dans son essai « On bullshit » (2005) : l’entrée dans l’ère de la foutaise.
Une ère du bullshit ?
Gloria Origgi et Claudine Tiercelin questionnent cette société, qu’elles considèrent non pas du mensonge, mais du « bullshit ». Alors que le menteur connaît la vérité et prend la responsabilité du mensonge, le « bullshiteur » lui, affirme sans la connaître. Il parle sans certitude et sans recherche. Une insensibilité au vrai comme au faux qui s’accompagne d’une suspension délibérée du jugement.
La baisse de la qualité épistémique de l’information engage l’encrage des populations dans le réel. Le bullshit devient alors un enjeu majeur, une question tant éthique que politique.
En quête de vérité
Dans un hommage àMichel Foucault, Claudine Tiercelin rappelle que « ce qui est vrai » ne se limite pas à ce que l’on prétend vrai, mais correspond à ce qui s’accorde avec la réalité. Elle distingue l’information et la connaissance et insiste sur la nécessité de l’analyse critique. Selon elle, l’enquête sur la qualité des preuves et des sources est essentielle pour éviter de tomber dans les pièges des circuits complotistes ou des bulles informationnelles. Il s’agit de sélectionner et de confronter les informations. Un rappel à l’importance de l’éducation, garante de la transmission du savoir et donc de la liberté.
Gloria Origgi, elle, observe le changement d’attitude des individus face aux faits, qui s’illustre dans l’attention particulière qu’ils portent à leur production et à leur narration. Pour viser la vérité, elle propose de dépasser l’opposition mensonge/vérité en étudiant l’action de l’Homme sur le fait : son rôle, le contexte et l’impact souhaité.
Les intervenantes concluent sur la complémentarité de ces biais d’analyse. Cependant, Claudine Tiercelin souligne « il ne faudrait pas confondre ce qui est de l’ordre de l’archéologie du savoir et ce qui est de l’ordre de la validation du savoir ». Le mode de production du savoir ne doit pas permettre de donner le verdict sur son contenu.S’il est important decomprendre si les faits dépendent d’une position, la primauté de leur scientificité reste fondamentale.
Hannah Marie