Une résistance linguistique face à la guerre des mots
La conférence autour du nouveau livre de Barbara Cassin « la Guerre des Mots. Trump, Poutine et l’Europe » aux éditions Flammarion a fait salle comble à l’École Supérieure de Journalisme de Lille. Modérée par Léon Wisznia, cofondateur du festival, la discussion a porté sur le choix des mots que font les dirigeants politiques dans leurs discours.
Cette année, le thème de Citéphilo est l’urgence. Pour Barbara Cassin, membre de l’Académie Française, l’urgence d’écrire son livre est apparue après des révélations venant d’universitaires américains. Ils dénoncent la prétendue mise en place par le président Trump d’une liste de mots interdits. Parmi ces mots, dont l’utilisation serait éliminatoire pour obtenir un budget fédéral, on retrouve diversité, justice sociale, ou encore crise climatique.
Le discours performatif
Les deux dirigeants se basent grandement sur le performatif dans leurs discours. « Dire, c’est faire ». Ainsi Mme Cassin définit cette notion, en donnant quelques exemples connus de tous, tels que le « Je vous ai compris » du général de Gaulle en Algérie, ou le « Yes we can » de Barack Obama. Autant de déclarations qui ne décrivent pas, mais qui accomplissent quelque chose. On peut donc se servir de la langue pour supprimer des faits. En obligeant sa population à parler d’« opération militaire spéciale » et non de guerre, ou en rebaptisant le ministère de la Défense en ministère de la guerre, on en change la perception populaire.
Donald Trump et Vladimir Poutine ont une manière différente d’être populiste dans la parole. Le premier n’utilise en moyenne que quatre mille mots, sur les soixante mille que contient la langue anglaise. Ce langage limité, en plus d’une syntaxe enfantine, permet d’être compris et identifiable pour n’importe quel américain. De son côté, le second opte pour la diversité des langages, et s’exprime différemment selon la strate de la population russe en face de lui. Il utilise le mat, cet argot vulgaire basé sur deux seuls mots qui désignent le sexe de l’homme et celui de la femme. Parlé dans les goulags, c’est ainsi qu’il réussit à débaucher d’anciens truands pour former la milice Wagner.
Une résistance nécessaire
Malgré les différences géopolitiques, les deux présidents ont en commun une détestation, celle de l’Europe. Pour l’académicienne, « La langue de l’Europe, c’est la traduction ». Son livre « Le Dictionnaire des Intraduisibles » a paradoxalement été traduit dans onze langues, preuve de l’unité de l’Europe malgré ses diversités. Le vieux continent a donc un rôle de résistance à jouer face à ces populismes montants. La mise en place de programmes d’accueil, comme PAUSE en France, des enseignants-chercheurs ukrainiens ou américains pour leur permettre de continuer à exercer, est une forme de résistance.
À New York, le candidat à la mairie Zohran Mamdani est détesté de Trump, qui menace de retirer les aides fédérales en cas d’élection. Sa probable victoire en fera l’un des résistants les plus directs au président américain.
Alexandre Hébert

