Félicien Faury et Sandrine Levêque à Science Po Lille le 4 novembre
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Le vote Rassemblement national : enquête à l’origine du mal

Comment expliquer la banalisation croissante de l’extrême-droite ces dernières années ? Dans Des électeurs ordinaires, Enquête sur la normalisation de l’extrême droite (2024), Félicien Faury, sociologue et politiste, tente de répondre face à l’urgence, celle de comprendre pour mieux endiguer. Après une tournée médiatique « digne des Rolling stones avant leur retraite », comme en sourit Sandrique Levêque, modératrice de la conférence, Félicien Faury est intervenu à guichets fermés ce mardi à Science Po Lille.

Un vote de classe ?

Fruit d’une enquête auprès des habitants d’une ville du Sud-Est de la France marquée à l’extrême-droite, entre 2016 et 2022, Des électeurs ordinaires perce à jour les mécanismes de sa dédiabolisation « par le bas », par ceux qui glissent un bulletin RN dans l’urne sans être pour autant adhérents ou férus de politique. Que peut-on constater ? Tout d’abord, les électeurs du RN ne font pas partie des plus précaires mais de la classe populaire établie ou de la petite classe moyenne. Ils « ont un peu acquis et ont maintenant peur de perdre ».

Ils se sentent alors menacés par deux types de « parasites » : ceux d’en haut – les milliardaires – et d’en bas – les bénéficiaires d’aides sociales. Mais face aux élites économiques, le fatalisme domine. Leur colère s’exerce donc sur les classes économiques inférieures. Le fantasme de « l’immigré-assisté » devient bouc-émissaire, d’autant plus que les politiques des derniers gouvernements donnent l’impression qu’ils peuvent agir sur l’immigration et pas sur l’enrichissement des élites économiques.

Racisme des électeurs du RN : cesser la langue de bois

Selon Félicien Faury, le débat entre la prépondérance du facteur social ou racial dans le vote RN n’a pas lieu d’être ; ils sont intimement liés. Un slogan du FN dans les années 70 l’illustre : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ». Leur racisme est si décomplexé que certains le brandissent comme un trophée de subversivité.

Le sociologue rappelle toutefois ces mots de Frantz Fanon : « Une société est raciste ou elle ne l’est pas ». Autrement dit, les électeurs du RN n’ont pas l’apanage du racisme. Étant systémique, il traverse, sous différentes formes, toutes les classes sociales. La différence des électeurs RN réside dans la transformation de ces convictions racistes en un critère primordial lors du vote. Les discours médiatiques de la sphère Bolloré y participent en les légitimant et en valorisant leurs ambassadeurs dans le monde politique.

De Béziers à Hénin-Beaumont, similarités à l’échelle nationale

Si le vote RN a longtemps été étudié selon un clivage Nord-Sud, entre celui du Bassin minier, économique et celui du Sud-Est, islamophobe et raciste, Félicien Faury juge cette distinction superficielle. Il insiste sur leur point de convergence : le faible niveau de diplôme des électeurs, conséquence de parcours scolaires compliqués. Persistent donc en eux un fort ressentiment vis-à-vis des incarnations du capital culturel. Des professeurs aux journalistes en passant par les artistes, le savoir académique est vécu comme une tentative de domination et a un effet repoussoir.

Clémentine Moreau