Le temps ou l’impensé des inégalités

Et si une des mesures les plus frappantes des inégalités n’était pas celles de revenus ou de patrimoine mais de temps vécu ? Dans son ouvrage, L’avenir confisqué, publié en 2023, Nicolas Duvoux souligne comment l’expérience sociale de classe est caractérisée par une plus ou moins grande capacité à se projeter dans l’avenir et à construire un récit autobiographique uniforme à la trajectoire continue.

Au-delà de l’analyse économique des inégalités

Le travail de Nicolas Duvoux, sociologue et professeur à l’université Paris 8, se fonde sur le constat du hiatus entre le nombre de personnes considérées comme précaires en France par les rapports économiques et celui, supérieur, de personnes qui se sentent pauvres. Pour analyser ce malaise social, Nicolas Duvoux décide de remédier à cette « occultation de l’expérience vécue de l’inégalité ». En tant que sociologue, il revalorise ainsi le caractère essentiel du témoignage.

Enfermement dans le présent et impossibilité de se projeter

La question qui guide Nicolas Duvoux est de savoir à quel horizon temporel notre expérience sociale nous permet de nous projeter. Plus un individu est situé en bas de la hiérarchie sociale, plus son expérience de vie est saturée par le court terme et plus un individu se situe en haut de cette hiérarchie, plus une épaisseur temporelle, sur plusieurs générations, se dégage.

Ainsi, les allocataires des minima sociaux sont soumis à des procédures numériques implacables, contrôlant leurs vies désormais placées sous la menace de sanctions en cas de retard ou d’imprévu. Le salariat non plus n’est plus une garantie de sécurité temporelle quand 80% des contrats créés chaque année sont des contrats courts.

Une urgence organisée par l’Etat

Ce qui caractérise l’expérience prolétaire est l’insécurité temporelle. Les institutions, à l’inverse de ce qu’elles déclarent, organisent l’enfermement dans le temps court des personnes en situation de pauvreté. Elles structurent même les écarts de richesse. Lorsque la Sécurité sociale est créée, « elle n’est pas pensée comme une Egalité sociale », elle vise uniquement à assurer une sécurité financière en fonction de sa classe sociale : « à salaire de cadre, retraite de cadre, à salaire d’ouvrier, retraite d’ouvrier ». Les récentes réformes du calcul des APL ou de la prime à l’activité ont renforcé l’insécurité temporelle en variant leur montant d’un mois à l’autre.

L’optimiste quant à l’avenir est donc « devenu un privilège ». La crise est aussi, selon Nicolas Duvoux, celle de de l’écart entre ce que l’on nous a appris à désirer en termes de propriété, de sécurité financière et de stabilité de l’emploi et la réalité qui ne permet pas d’y accéder.

Clémentine Moreau