Sagesse et vérité par Barbara Cassin, Danièle Wozny, Elisabeth Claverie et Driss El Yazami
Vérité et Sagesse : conférence avec l’invitée d’honneur Barbara Cassin
Au début de la séance, quatre intervenants prennent place sur l’estrade en face de nous : Barbara Cassin philosophe et invitée d’honneur du festival, Driss El Yazami président du conseil national des droits de l’homme, Danièle Wozny, directrice d’établissements culturels et Elisabeth Claverie, anthropologue. Puis une vidéo est diffusée, c’est un extrait de la Commission de la vérité, un film de André Van In. Le thème de cette conférence est donné : « parler après » et le rôle de la vérité dans la justice transitionnelle.
La justice transitionnelle, un pas vers la réconciliation ?
La conférence s’appuie sur deux exemples : la Commission vérité et réconciliation en Afrique du sud après l’apartheid, et la Commission équité et réconciliation au Maroc en 2004, pour rendre justice aux victimes des exactions commises sous le règne de Hassan II.
Ces commissions sont, d’après M. El Yazami, « un outil de transition à un moment de recréation d’un espace commun ». A travers ce processus de justice transitionnelle, il ne s’agit pas de pardonner ni d’oublier, mais de créer une nouvelle société pour les générations futures. Dans le cas marocain, la réconciliation a pris plusieurs formes. Les victimes ont pu dire leurs vérités sous conditions de n’accuser personne nommément, ou bien uniquement les institutions. Des réparations monétaires ont été versées, ce qui pose la question de la valeur d’actions, à priori irréparables.
L’amnistie, la vérité en échange de la liberté
Chaque commission pose ces propres conditions, d’où l’intérêt de comparer les deux entre elles. C’est Barbara Cassin qui évoque l’exemple sud-africain. Celles de la commission vérité réconciliation sont ironiques, puisqu’elles obligeaient ceux qui n’avaient pas intérêt à se dénoncer à parler. Les seules conditions à respecter étaient de n’évoquer que les événements ayant eu lieu pendant un cadre temporel défini, que les faits évoqués soient politiquement liés, et que si la personne dit toute la vérité elle pourra être amnistiée. C’est cette dernière obligation qui nous intéresse et il faut préciser qu’amnistier n’est pas pardonner. Cela permet de collecter la parole et, pour la commission, c’est elle qui fait le réel, car la parole donne accès à plusieurs vérités. Il y a la vérité du tribunal, ou vérité factuelle, la vérité personnelle qui est narrative, et enfin la vérité sociale qui est une vérité partagée. Le but ultime est de fabriquer une vérité qui soigne, une vérité qui restore. C’est de la psychanalyse à l’échelle d’une nation entière, pour fabriquer, des suites de l’apartheid le peuple « arc-en-ciel ».
2ème temps, les Maisons de la Sagesse
Les Maisons de la Sagesse sont un projet commun de Mmes Cassin et Wozny, dont le point de départ est lié au travail de la philosophe : la traduction. Conçue en réseau de lieu et d’action, cette initiative s’appuie sur deux expériences à Aubervilliers et Marseille. De manière concrète, l’idée derrière ce projet est en trois temps, celui de l’accueil des personnes émigrées, celui de l’insertion et celui du retour critique. Pour permettre un meilleur accueil, les maisons de la sagesse travaillent actuellement sur un glossaire des formulaires administratifs français, pour donner aux migrants une traduction sous forme d’une application numérique. Ensuite, l’idée est d’accorder des micro-crédits à ces personnes quand les banques refusent de leur prêter, en échange d’un objet qui constitue leur patrimoine culturel. Le but étant de créer une banque culturelle, qui raconte des histoires et des vérités différentes selon les patrimoines des personnes. Enfin il s’agit de s’attaquer à ce qui bloque, c’est-à-dire à tous les intraduisibles des différents patrimoines pour rendre compte des différentes descriptions du monde selon les cultures. Un travail très intéressant mais pour l’instant inachevé, qui pourra peut-être bientôt s’appuyer sur un nouvel espace à Lille.
Agathe Fourcade