Persévérance de l'utopie par Pierre Macherey et Thierry Paquot
« L’utopie est là pour faire saisir que quelque chose ne va pas » 
La conférence donnée par Pierre Macherey, professeur émérite de
 Philosophie à l’Université de Lille et Thierry Pacot, philosophe et professeur
 émérite à l’Institut d’urbanisme de Paris a balayé de nombreux clichés sur
 l’utopie, et apporté un regard neuf sur cette notion trop souvent dévoyée. 
Le mot « Utopie », à
 l’origine un nom propre, vient du titre du livre de Thomas More Utopia (1516), récit d’une île où l’égalité
 entre les hommes règnerait. More forme son mot à partir du grec
 « utopos », « lieu qui n’est nulle part ». C’est à
 l’invitation d’Érasme que l’homme de lettres et homme politique britannique rédigera
 un autre texte accompagnant la fable, vilipendant la société britannique de
 l’époque et le recours à la guerre.
Pour les deux conférenciers, le
 procès de l’utopie semble aujourd’hui établi. Le marxisme d’une part a
 contribué à la bouter hors des idées légitimes car non-scientifique et le
 libéralisme d’autre part, constatant l’échec de l’URSS, l’a cantonnée dans le
 champ de l’irréalisable voire du danger. Tout en ignorant son contenu. 
Du XVIème au XVIIIème, l’utopie
 devient un genre littéraire et prolifère du XVIème siècle à la fin du XVIIIème
 siècle. Les récits sont extrêmement variés, certains valorisent
 l’individu, le luxe, la frugalité… Pour Pierre Macherey, les utopies ne sont
 pas faites pour être mises en œuvre : « c’est
 un rêve au sens où l’imaginaire éclaire la vie réelle ». Elle est à lire au
 présent : « l’utopie est là pour faire
 saisir que quelque chose ne va pas ». 
Néanmoins, à la fin du XVIIIème
 siècle, l’utopie cesse d’être politique pour devenir sociale. Ainsi, chez
 Saint-Simon, Owen et Fourier, la question de l’État est évacuée. La nouvelle
 phase de l’utopie qui commence au début du XIXème c’est le décentrement.
Au XXème siècle, Karl Mannheim et
 Ernst Bloch tentent de penser la pratique de l’utopie. Sa réalisation commence
 avec Thomas Müntzer, contemporain de More, qui dans le contexte de la guerre
 des paysans en Allemagne, a pris la tête d’un mouvement populaire. Pour Bloch
 et Mannheim, c’est le premier qui a fait sortir l’idée utopique comme germe
 politique. 
Ainsi pour Thierry Pacot,
 certaines utopies (Saint Simon) sont de véritables projets de société, et
 notamment à partir de la fin du XVIIIème siècle. En divergence avec Pierre
 Macherey, il refuse de parler d’un échec de l’expérimentation des utopies. Pour
 lui, les utopiens s’accordent à souligner les apports d’une telle expérience,
 notamment aux États-Unis. Cent ans après
 l’an 2000, utopie d’Edward Bellamy, a donné naissance à une soixantaine de
 récits utopistes aux États-Unis. 
« Fourier, c’est le poète de l’utopie ! » (P. Macherey)
Les deux conférenciers ont choisi
 de faire un focus sur Charles Fourier, inventeur du phalanstère et dont la
 grande préoccupation était la vie quotidienne des habitants de son utopie. Plus
 que les grandes théories, l’important est le foisonnement de détails. Fourier a
 imaginé un type de société dans laquelle riches et pauvres peuvent vivre
 ensemble, en s’enrichissant mutuellement. 
Incroyable de constater, pour nos
 oreilles néophytes, à quel point ses idées étaient novatrices : il est un
 des premiers à penser l’architecture comme fondement de la vie sociale, à
 concevoir une pédagogie nouvelle, à la question du réchauffement climatique… Ce
 qui fait dire à Pierre Macherey : « s’il
 y a bien quelque chose qui n’est pas abstrait c’est l’utopie ». 

