Comment les médias transmettent l’information, par Julia Cagé
Dans le cadre de Citéphilo, l’économiste Julia Cagé était invitée jeudi 6 novembre, dans l’émission Les Chemins de la philosophie sur France Culture, présentée par Adèle Van Reeth. Spécialiste du financement des médias, elle expose sa vision de la transmission médiatique de l’information.
Avant d’étudier la transmission de l’information, Julia Cagé prend soin d’en définir les contours. Il s’agit, précise-t-elle, de « partir d’un certain nombre de faits et de les éditorialiser pour les donner à consommer aux citoyens». L’information est donc un objet éditorialisé, dont la fabrication contraint à la subjectivité. Le journaliste sélectionne un fait qu’il traite ensuite à l’aune de sa propre vision du monde.
Pour étudier la notion d’objectivité, l’émission mobilise alors la pensée de la philosophe Hannah Arendt qui distingue « faits » et « opinions ». La vérité des faits est indiscutable, tandis qu’une multiplicité d’opinions sur ces faits peuvent être émises. Dans La Crise de la culture (1968) elle écrit : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie ». Pour l’économiste, cette citation est primordiale et exige du journaliste la transmission d’informations basée sur des faits vérifiés, mais n’exclut pas pour autant la subjectivité de l’opinion.
Un média représentatif ne vise pas l’objectivité mais cherche à renvoyer une image réelle de la société. De ce point de vue, Julia Cagé estime qu’il y a encore beaucoup à faire. Le milieu du journalisme est encore trop masculin, âgé, blanc et aisé. Son espoir : plus les profils de journalistes seront divers, plus les regards sur un même fait seront nombreux et mieux la représentation de la société sera assurée dans les médias.
Restaurer la confiance des citoyens
Cette moindre représentativité n’est pas étrangère à la défiance envers les médias. L’économiste précise que si cette défiance a toujours été visible dans les enquêtes d’opinion, dès les années 1980, elle s’accroît au fil des ans. « Le doute est si important que finalement peu importe l'émetteur, il [l’émetteur de l’information] est remis en cause, » s’inquiète-t-elle.
Mais un autre facteur intervient : le modèle économique. Pour Julia Cagé, la défiance des citoyens y est étroitement liée et la concentration des médias dans les mains d’une poignée d’acteurs l’alimente. Le modèle d’actionnariat devient même contradictoire avec l’objectif qui devrait être celui du journalisme : former et éclairer les citoyens, comme le fait l’éducation. Un financement basé sur la publicité et la mise en concurrence en vient même à nuire à la qualité de l’information, entre copier-coller et faits non-vérifiés.
Fondations, associations, entreprises à but non lucratif… les alternatives à l’actionnariat existent. « L’information de qualité est un bien public, insiste Julia Cagé. Un bien public, normalement, ce n’est pas quelque chose qui peut être produit par le marché. »
Derrière l’enjeu de retrouver la confiance de la population se trouve le souci d’informer correctement les citoyens, pour que puisse fonctionner la démocratie.