« Tout n’est pas scolaire dans l’échec scolaire » Bernard Lahire et la question de l’échec scolaire
Dans le cadre du partenariat avec
 Citéphilo, et en raison des difficultés rencontrées par l'évènement dans le
 contexte actuel, le sociologue de renom Bernard Lahire, professeur à l’École
 Normale Supérieure de Lyon et directeur de recherches au CNRS, présentait à
 l’occasion de l’émission « Les chemins de la Philosophie » sur France Culture
 ses réflexions sur la question de l’échec scolaire en France et la
 problématique de la transmission des inégalités à l’école. Retour sur cet
 entretien qui, loin de stigmatiser l’institution scolaire, met l’accent sur les
 inégalités de situation à son entrée. 
La crise sanitaire qui sévit depuis
 le mois de mars montre l’importance de l’éducation dans nos sociétés, et en
 particulier de l’école, qui, malgré le nouveau confinement, a été maintenue. Bernard
 Lahire assure d’ailleurs que les inégalités résultant de cette mise à distance
 lors du premier confinement n’auront pas seulement concerné les 5 % de
 décrocheurs scolaires. En effet les stigmates lui semblent plus profonds :
 beaucoup d’enfants ont été livrés à eux-mêmes, en particulier ceux des
 familles où le seul temps de formation était celui passé à l’école, et où
 l’absence de lien physique et matériel semble avoir été un obstacle à la
 communication des savoirs.
Les enfants vivent au même moment et
 dans la même société, mais pas dans le même monde 
Mr Lahire montre que la majorité des
 savoirs qui se constituent chez l’enfant provient d’un rapport individualisé
 dans le cadre familial, intermédiaire par lequel il apprend à découvrir la société,
 à trouver sa place et à fixer ses limites. Bernard Lahire indique en
 effet qu’il est plus facile pour un enfant issu d’un milieu favorisé d’accéder
 aux savoirs de son âge, bénéficiant naturellement d’une transmission parentale,
 là où elle n’est pas systématique pour les enfants de classes populaires. De
 l’institution de règles pour bien se tenir à la pratique d’activités
 extrascolaires, de nombreux indices montrent selon lui qu’un enfant né dans un
 environnement aisé n’acquiert pas le même capital culturel que celui né dans
 une famille modeste. Il prend
 l’exemple de la lecture et de l’écriture : « Lire une histoire le soir est
 souvent considéré comme une activité banale, mais tout se joue là, dit-il. Un
 enfant va apprendre à parler différemment selon le capital narratif qu’il aura
 reçu ». Comme il le dit dans le dernier ouvrage collectif, qu’il dirige, Enfance
 de classe, de l’inégalité parmi les enfants (Seuil, 2019), « Les enfants
 vivent au même moment, dans la même société, mais pas dans le même monde ».
 C’est « l’illusion de l’enfance commune ». 
Changer l’école et l’élève 
Dès lors comment faire en sorte que
 chaque enfant ait accès au même niveau de connaissances ? Face à l’arrivée
 d’enfants aux capacités très différentes, le rôle de l’école dans l’homogénéisation
 des savoirs se complique. « Il faudrait tout changer, (…), mais le gros du
 problème n’est pas entre les mains de l’école. Il faut déculpabiliser les
 enseignants qui font avec les enfants dans l’état dans lequel ils arrivent, qui
 dépend lui-même des situations familiales tenant à tout un passé ». L’école
 joue alors un rôle crucial dans la reproduction de l’ordre social existant,
 surtout dans une société où l’accès au marché du travail est déterminé par
 l’institution scolaire. Ainsi pour Bernard Lahire, le problème de l’échec
 scolaire ne tient donc pas uniquement à des problématiques pédagogiques. C’est
 en pensant à des politiques de soutien social, de redistribution des richesses
 économiques, de démocratisation de l’accès à la culture que l’on pourrait
 remettre sur un pied d’égalité des situations bien trop disparates à l’entrée
 de l’école, développe le chercheur. 
Portrait 
Bernard Lahire est sociologue et
 professeur de sociologie à l'École normale supérieure de Lyon depuis 2000 et
 directeur de l'équipe Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations du
 Centre Max- Weber (CNRS). Il a été le directeur du Groupe de recherche sur la
 socialisation (UMR 5040 CNRS) de 2003 à 2010, avant de devenir
 directeur-adjoint du Centre Max-Weber, de 2011 à 2018. Ses travaux ont porté
 successivement sur la production de l'échec scolaire à l'école primaire, les
 modes populaires d'appropriation de l'écrit, les réussites scolaires en milieux
 populaires, les différentes manières d'étudier dans l'espace de l'enseignement
 supérieur, l'histoire du problème social appelé « illettrisme », les pratiques
 culturelles des Français, les conditions de vie et de création des écrivains,
 l'œuvre de Franz Kafka, l'histoire des rapports entre art et domination en
 Occident ou encore sur les rêves. 

