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Regards d’une sociologie de terrain sur la sociabilité dans la jeunesse rurale : les apports complémentaires de Benoît Coquard et Yaëlle Amsellem-Mainguy


    Invités le 18 novembre à Sciences Po Lille, Benoît Coquard et Yaëlle Amsellem-Mainguy ont donné une conférence sur le regard sociologique porté sur la jeunesse rurale, objet de recherche qu’ils ont contribué à légitimer de nouveau, à la suite de travaux de Nicolas Renahy.
    Le modérateur Jacques Lemière a invité ces deux chercheurs aux approches complémentaires à nous aider dans la compréhension de la complexité et de la structuration du monde rural, mais aussi des disparités qui y sont spécifiques entre filles et garçons. C’est par leurs motivations initiales à étudier ces objets que la discussion s’est lancée.

Une volonté de déconstruire le concept de « France périphérique »

    Pour Benoît Coquard, étudier les sociabilités rurales vient notamment d’une volonté de déconstruire le concept de Christophe Guilly, poussé médiatiquement par des politiques de plusieurs bords. Selon lui, c’est une vision urbano-centrée : l’image du rural est construite depuis la ville, ce qui ne peut qu’aboutir par contraste à des théories du déclin par le manque. Au contraire, ses recherches montrent que les jeunes ruraux se construisent une hiérarchie des valeurs propres, dans laquelle la ville est vue comme un lieu d’isolement, une figure repoussoir. De même, leur réussite ne passe pas par les études mais par la centralité de la réputation locale : être intégrés à une bande d’amis respectables et installés dans un emploi stable, pour développer et profiter d’un « capital d’autochtonie ».

Les invisibles parmi les invisibles

    Yaëlle Amsallem-Mainguy de son côté mentionne le débat sur les « invisibles » (Les invisibles de la République, de Salomé Berlioux et Erkki Maillard en 2019), avec une volonté de documenter autrement cette jeunesse, notamment en féminisant des recherches restées masculines dans les travaux cités précédemment. Elle explique que si ce concept existait vraiment, les femmes seraient alors les invisibles des invisibles.
    Par ses enquêtes, elle révèle les processus d’euphémisation des compétences développées par les jeunes femmes rurales. Elle dévoile aussi les systèmes de perpétuation des logiques du travail domestique dans les festivités publiques, mais aussi le peu d’emplois qui sont adressés aux filles « du coin ». Son analyse montre comment elles sont reléguées au second plan au travail, notamment dans le secteur touristique qui leur est ouvert a priori, mais où les employeurs favorisent des jeunes diplômées venant d’ailleurs dans les métiers à interaction avec la clientèle.

Des dynamiques sociales marquées par une mise concurrence brutale

    Par la suite, les deux invités ont permis de développer une analyse croisée de l’importance de la concurrence dans la sociabilité rurale. Alors qu’il y a peu d’emplois, et que « tout le monde se connaît », tout finit par se savoir – ceux qui ont été « pistonnés », ceux à la mauvaise réputation, ceux qui « ont tiré dans les pieds » d’autres – alors qu’ils et elles sont en concurrence pour les mêmes postes. Il faut donc être vu comme travailleur, sérieux, entouré d’amis respectables, ce qui passe par une condamnation de l’assistanat social (RSA, Secours Catholique). La pauvreté est alors vue comme contagieuse, et se perpétue ainsi une puissante logique d’exclusion.