Pour une “jurisprudence de la Terre”
Ce mercredi 23 novembre, Citéphilo recevait Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement et présidente de Wild Legal, mais aussi experte auprès de la Convention citoyenne pour le climat. Investie dans le mouvement de la lutte pour les droits de la nature, elle est venue présenter son ouvrage « Devenir gardiens de la nature », qui s’appuie notamment sur son aventure militante auprès des populations autochtones en Guyane et leur combat contre les projets pétroliers et miniers dans la région. Les droits primaires des autochtones seraient-ils la solution pour protéger juridiquement la biodiversité ? Retour sur un long périple pour une « jurisprudence de la Terre ».
La Guyane, un voyage révélateur
Avec ce premier livre, Marine Calmet veut « apporter des notions de droit de la nature qui soient accessibles à tout le monde », notamment aux plus jeunes. Constatant que les grands cabinets spécialisés dans l’environnement étaient plus que complaisants avec les grandes multinationales pollueuses, Marine Calmet décide de partir en Guyane française pour combattre auprès des populations locales contre le projet de mine d’or à ciel ouvert, avec le collectif Or de question.
Ce projet, initié sur les terres sacrées autochtones a suscité de vives émois car il met en danger la sécurité de l’environnement et des habitants, créant des montagnes de boue cyanurée derrière des digues très instables. En Guyane, Marine Calmet découvre « un monde où la propriété privée n’existe pas », où l’Homme et la nature vivent en symbiose selon des lois ancestrales de respect et de partage. La juriste réalise alors le potentiel du droit coutumier des autochtones pour faire évoluer nos sociétés vers une autre manière de régler les relations avec la nature.
Protéger la nature pour nous protéger
En France, la charte pour l’environnement reconnaît que l’Homme a droit à un environnement sain, mais ne reconnaît pas le droit de l’environnement à sa préservation. « C’est un défaut structurel dans notre droit, induit par notre prisme humano-centré », explique la juriste. Et dans les faits, cette charte ne nous protège pas : tous les ans, des milliers de personnes souffrent de la pollution, des perturbateurs endocriniens, etc.
Il nous faut donc nous réconcilier avec le droit du vivant, en passant de l’anthropocentrisme au biocentrisme, pour étendre le droit aux être vivants non humains. « Il faudrait reconnaître les droits de la nature dans la Constitution, comme cela a déjà été fait par l’Équateur en 2008, suivi par une cinquantaine de pays depuis ». Un droit qui protège la nature protège l’Homme, qui dépend d’elle pour survivre.
Devenir gardiennes et gardiens de la nature
Pour être gardien de la nature, il faut s’armer d’une certaine « désobéissance créatrice », comme l’explique Marine Calmet. « Pour faire progresser le droit, il a toujours fallu désobéir et déployer de nouveaux modèles de gouvernance ». Désormais, l’objectif est de constituer des gardes-fous juridiques, pour créer un monde compatible avec les équilibres de la nature.
Tout en s’inspirant du droit coutumier appliqué par de nombreux peuples autochtones, c’est à nous de créer un droit de la nature adapté aux besoins de notre territoire. Un droit « biomimétique », pour rendre à la Terre ce qu’on lui a pris.
Enora Paniez, Sciences Po Lille