Des gamins contre Staline : les enfants non désirés de la dictature soviétique
Des gamins contre Staline : les enfants non désirés de la dictature soviétique
Comment quelques adolescents dissidents du régime ont-ils pu tant effrayer les dirigeants soviétiques sous le règne de Staline ? Revenant sur son dernier ouvrage, Des gamins contre Staline (Seuil, 2022), Jean-Jacques Marie, historien spécialiste de l’URSS, a retracé la trajectoire de ces enfants militants. Une trajectoire aussi intrigante que révélatrice de l’enjeu central que représentait le contrôle de la jeunesse sous la dictature. Entre Histoire et anecdotes, le récit de l’ancien professeur a pris.
Pour la première des cinq conférences de Citéphilo prévues à Sciences Po Lille, l’amphithéâtre « Hannah Arendt » résonnait avec la conférence de Jean-Jacques Marie. Ce lundi 7 novembre, l’ancien professeur d’Histoire est venu raconter un épisode particulier du totalitarisme soviétique durant ces années staliniennes (1924-1953) : celui de la résistance des enfants.
Des « gamins », qui en dépit de leur modeste capacité d’action (tracts, réunions en petits comités), leur âge et leur nombre limité, ont semblé effrayer les dirigeants soviétiques de l’époque qui se sont appliqués à les faire taire. C’est l’objet de la dernière publication de Jean-Jacques Marie, historien reconnu pour sa fine connaissance de l’URSS, et notamment ses biographies de Staline, Lénine et Trotski.
Peine de mort dès 12 ans
Ces poignées d’adolescents improvisés militants incarnaient finalement les failles du projet d’endoctrinement de la dictature, où la jeunesse occupait une place décisive. Entre le très codifié Komsomol, organe jeune du Parti Communiste, et l’égérie de Pavel Morozov, statufiée dans toutes les grandes villes soviétiques pour avoir dénoncé ses parents traîtres (une histoire inventée), il était alors impensable de laisser tracter ces minots aux messages très vindicatifs : « Camarades qui souffrez sous le joug stalino-fasciste […] Dressez-vous pour le combat. Anéantissez la bête sauvage Hitler et ensuite renversez Staline !» disait une brochure retrouvée à Saratov, en 1944.
Concours d’orthographe pour retrouver les auteurs, peine de mort dès 12 ans, goulag, le système répressif stalinien ne lésinait pas pour endiguer un phénomène qui renforçait encore un peu plus la paranoïa de Staline, détaille J-J. Marie : « Il avait peur de son propre peuple ». La police politique prêtait même aux intéressés âgés de 10 à 16 ans, des projets d’attentat sur le Vojd. Une menace en réalité inexistante qui démontre bien là-aussi la panique provoquée dans les camps du NKVD.
Idéal léniniste
Pour reconstruire ce récit jusqu’ici méconnu, Jean-Jacques Marie s’est appuyé sur de nombreux rapports de police mais aussi des témoignages, lui qui a longtemps vécu en URSS. Souvent, dit-il, les enfants concernés avaient grandi dans des familles de militants communistes, ou étaient directement touchés soit par la déportation inexpliquée de leurs parents soit par la famine.
Impressionnants de maturité, ils voulaient convaincre que Staline avait trahi leur idéal léniniste. Ils le paieront au prix d’années de camp voire de leur mort, sur la base du risque trop grand qu’ils représentaient. Car la vérité sort toujours de la bouche des enfants.
Clément Rabu, étudiant à Sciences Po Lille