L’Europe, fédération ou confédération ?
L’Europe et la construction européenne sont des sujets peu débattus en philosophie politique. Si Habermas a tracé un véritable chemin de pensée sur le sujet, peu de ses confrères s’y sont risqué. Céline Spector, à travers son dernier ouvrage, s’est donc fixé l’objectif de répondre à la question : l’Europe, fédération ou confédération ?
Ce samedi 12 novembre, Céline Spector était sur l’estrade du Palais des Beaux-Arts pour nous parler du rôle de la souveraineté européenne. Avec son livre No Demos ? Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe, la philosophe et professeure de philosophie politique à la Sorbonne nous a délivré un véritable « plaidoyer pour l’Europe » et pour une construction politique plus forte du Vieux Continent.
Traditions de la souveraineté
« La souveraineté est une et indivisible et doit appartenir à la Nation », « La construction européenne est impossible car l’Europe n’est pas un peuple » … Les objections contre une fédération européenne souveraine sont nombreuses et viennent de tous les camps. Ces arguments de remise en cause de l’Europe, désignés comme « souverainistes » ont été le point de départ de la réflexion de Céline Spector. « Je voulais donner ses chances au souverainisme, pour mieux le réfuter » explique-t-elle. Dans son livre, la philosophe s’attelle donc point par point à démonter les arguments anti-européens et à articuler son point de vue, celui d’une fédéraliste convaincue.
S’il y a un concept qui traverse l’ouvrage de Céline Spector aussi bien que cette conférence, c’est celui de souveraineté. Un concept dont il faut connaître les deux traditions nous dit la philosophe. La première c’est celle de Jean Bodin, ou de Thomas Hobbes où la souveraineté est absolue et indivisible, et où un partage de celle-ci correspondrait à une chute de l’Etat. La seconde, largement privilégiée par Céline Spector, c’est celle des fédéralistes américains du 18ème siècle. Selon eux, la souveraineté se partage à plusieurs niveaux, allant du niveau local au niveau fédéral. Cette conception voit le concept comme un ensemble de compétences et de prérogatives qui peuvent se décider à différentes échelles spatiales.
Pour Céline Spector, cette voix ouverte par les pères fondateurs des Etats-Unis est celle que l’Europe devrait suivre. Si certaines des décisions démocratiques doivent conserver un niveau de décision local, certaines compétences demandent maintenant une coordination européenne forte, et c’est le cas des grandes décisions de défense, d’économie générale, ou même de droits humains.
Un cosmopolitisme kantien
Cette vision s’inscrit finalement dans une réflexion autour du cosmopolitisme de Kant. Céline Spector partage en effet la vision du philosophe prussien concernant le droit des étrangers à circuler librement sur les territoires ou encore dans le besoin d’une justice sociale à l’échelle supranationale et pense que l’Europe devrait être le lieu de ce cosmopolitisme vertueux. Malgré cela, la philosophe politique émet tout de même des réserves sur les conditions d’accès à une organisation internationale de ce type. Selon elle une coopération n’est souhaitable qu’entre démocraties et l’association avec des régimes autoritaires ou dictatoriaux est à rejeter. Pour grandir en temps que fédération, l’Europe se doit donc d’être ferme sur ses principes démocratiques et de connaître ses frontières, sans cela la souveraineté commune ne se développera pas.
Marius Joly