Qu’est-ce que l’actualité politique ? Événements et opinions au XXIᵉ siècle, de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, paru chez Gallimard en février 2022. A droite, Arnaud Esquerre, Valentin Leroy et Luc Boltanski le 25 novembre lors de la conférence Citéphilo.

Qu’est-ce que l’actualité politique ? Evénements et opinions au XXIè siècle

Les sociologues Luc Boltanski et Arnaud Esquerre ont sorti un essai au début de l’année 2022 intitulé Qu’est-ce que l’actualité politique ? Événements et opinions au XXI siècle (Gallimard). Ils sont venus expliquer leur démarche dans le cadre de Citéphilo ce vendredi 25 novembre.

18h30, Sciences Po Lille. La fin de semaine et l’horaire tardif n’ont pas eu raison de l’intérêt du public. Sur l’estrade, le modérateur du débat, Valentin Leroy, est entouré des deux sociologues qui ont collaboré autour d’un double processus : la mise en politisation et la mise en actualité. Leur analyse est fondée sur des milliers de commentaires de médias audiovisuels et écrit (Le Monde et l’Institut national de l’audiovisuel).

Commenter la politique en démocratie

Pour commencer, on s’intéresse à la méthodologie des auteurs : pourquoi avoir choisi ce corpus ? Luc Boltanski explique : « ça nous a semblé un moyen original d’accéder à la formation des opinions. En politique, on peut y accéder par les sondages (or, Bourdieu met en garde sur le fait que la réponse se trouve souvent dans la question) et les entretiens (qui présentent là aussi un risque : la représentation théâtrale de soi). Les conversations de bistrot ne peuvent pas être enregistrés et étudiés. Là, avec les commentaires, on a des réactions à chaud.» Sans compter qu’ils ont eu accès à tous les commentaires laissés par les abonnés du Monde et les consommateurs des vidéos de l’INA (sur une période de deux mois) dans la mesure où les entreprises privées chargées de la modération ont accepté de leur donner accès à leurs bases de données. Ils se sont aperçus que beaucoup des critiques des lecteurs du Monde se basent sur l’idée d’une fabrication de l’opinion par les médias (déjà développé par l’école de Francfort). La sélection qui s’opère en conférence de rédaction est contestée : les commentateurs sont cependant soucieux de ne pas être assimilés à des complotistes. Ils ne critiquent pas des faits établis, mais ce que les journalistes font de ces faits.

La démocratie menacée ?

Arnaud Esquerre explique que « ce livre part d’une inquiétude par rapport à notre démocratie : il y a un parti pris normatif qui vise à décrire la manière dont elle fonctionne. On s’oppose à deux critiques symétriques de notre démocratie : l’une est tournée vers le futur. On vivrait dans une oligarchie, la vraie démocratie serait à venir. L’autre est tournée vers le passé. On serait dans une fausse démocratie parce qu’elle aurait été dévoyée à cause des réseaux sociaux. On s’est dégagé de ces deux critiques : on a cherché à comprendre comment faire perdurer la démocratie avec l’ère numérique. » La démocratie étant un régime qui marche à la critique, ils se sont demandé ce qui rend cette dernière possible et si l’anonymat conféré par les pseudos est un gage de démocratie. A en croire Arnaud Esquerre, c’est en tout cas un moyen de délivrer son fatras intérieur sans avoir à rendre des comptes. Il insiste aussi sur le recours à l’ironie. Pour lui, c’est une manière de se grandir car le commentateur sait que le journaliste ne répondra pas à la contestation de son interprétation. Il y a donc une volonté de renverser la hiérarchie induite par le contexte.

En guise de conclusion, Luc Boltanski affirme que l’anonymat est une façon nouvelle de parler politique, potentiellement destructrice face à un idéal démocratique.

Claire Lainé