Bruno Frère, Jean-Louis Laville et Paul Cary (maître de conférence et modérateur), le 27 novembre 2022 lors de la conférence « De la critique à l’émancipation » donnée en clôture de l’édition 2022 de Cité Philo à l’auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille.

Entre exploitation et aliénation, comment s’émanciper du capitalisme

La critique du capitalisme est très présente dans les sciences sociales. De Bourdieu à l’école de Francfort, nombreux sont ceux à avoir mis le doigt sur les limites du système dominant. Mais une fois la critique faite, quelles sont les perspectives d’émancipation que nous avons à disposition ?

Pour la dernière conférence donnée à Lille cette année, Cité Philo a accueilli ce dimanche 27 novembre 2022 les deux auteurs de l’ouvrage La Fabrique de l’émancipation « Repenser la critique du capitalisme à partir d’expériences démocratiques, écologiques et solidaires ». Jean-Louis Laville, professeur du Conservatoire national des arts et métiers et Bruno Frère, directeur de recherches au FNRS et professeur à l’Université de Lièges ont ainsi présenté et détaillé l’engagement de leur projet écrit à quatre mains.

Dans leur approche de la question du capitalisme, Jean-Louis Laville et Bruno Frère instaurent un dialogue puissant entre philosophie et sciences sociales. Ils affirment que le capitalisme n’échappe pas au cœur politique et qu’il est donc plus que nécessaire d’en faire une critique sans pour autant laisser tomber la question de l’émancipation. Car au travers de cette critique du capitalisme, de ses exploitations et de l’aliénation culturelle qu’il met en place, c’est notre capacité même de vivre ensemble qui est en jeu.

Un besoin d’émancipation

Pour Bourdieu, il faut s’émanciper de ses déterminismes sociaux pour aller au-delà du capitalisme et celui qui incarne ce dépassement est le sociologue. De son côté, l’école de Francfort voit l’artiste comme le seul individu capable de s’émanciper de ce modèle car il se place en dehors des contraintes capitalistes. Mais cette vision, aussi intéressante soit-elle dans sa critique du capital, rend presque impossible la perspective d’une émancipation globale des citoyens, tant l’accent est mis sur les déterminismes qu’ils subissent. En effet, nous ne sommes pas tous sociologues ou artistes. La critique doit donc aussi permettre à chacun de s’émanciper.

D’un autre côté, les deux auteurs analysent la position de Bruno Latour qui prend, lui, le pari de construire sa sociologie sur des sociétés (ou pans de sociétés) qui sont encore en construction et qui s’écartent ou s’opposent aux déterminismes déjà existants. Cette épistémologie permet alors de se détacher du fatalisme selon lequel il serait impossible d’agir, pour penser une nouvelle manière d’organiser une société. Cependant, là encore, il y a un manque à la réflexion car cela ne permet pas d’appréhender le fait que tous les individus ne sont pas sur un pied d’égalité dans ces constructions et que nos sociétés sont structurées sur des mécanismes de dominations indéniables.

Initiatives citoyennes

Le but du travail des deux auteurs au travers de leur ouvrage est avant tout de garder la puissance de la théorie critique, mais d’aller plus loin en y agrégeant l’aspect concret des mouvements citoyens. Jean-Louis Laville et Bruno Frère appellent à l’espoir et à l’action : « Il n’y a jamais eu autant d’initiatives citoyennes » nous livre le premier. Un des exemples les plus parlant, pris en fil rouge de cette conférence, reste celui des ZAD (Zones A Défendre). Des endroits alternatifs qui, d’une part s’opposent à un projet capitaliste, et d’autre part, tentent de créer une forme de société alternative. Les ZAD, comme d’autres initiatives redonnent du pouvoir au citoyen et proposent réinventer les institutions aussi bien administratives qu’économiques. Pour combattre le capitalisme, la meilleure arme reste de lui trouver des alternatives.

Mahaut Lafont-Baldauf et Marius Joly