La société comme source du handicap
Pour cette édition du festival centrée sur la question du corps, il était nécessaire d’ouvrir la discussion sur le handicap. C’est ce qu’on entrepris les deux intervenantes Marion Cottin et Charlotte Puiseux mercredi 6 novembre.
Plus d’une cinquantaine de personnes sont venues à la médiathèque Jean Lévy à Lille pour écouter les philosophes Marion Cottin, chargée de recherche en philosophie à l’ENS de Lyon et à la Sorbonne et Charlotte Puiseux, autrice de l’ouvrage De chair et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste (La Découverte, 2022) et membre du collectif handiféministe « les Dévalideuses ». Animée par Stéphane Zygart, docteur en philosophie à l’université de Lille, la conférence traduite en Langue des signes française s’est concentrée sur le caractère social du handicap et la notion de validisme.
Définir le handicap
Pour comprendre l’origine des difficultés subies par les personnes en situation de handicap, Marion Cottin discute des différentes définitions du terme. Longtemps attribué à un mal-fonctionnement du corps, le handicap est introduit en 1980 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une déficience psychologique, physiologique ou anatomique. Une catégorisation qui rejoint l’idée que s’en fait l’opinion publique, illustrée par le dictionnaire de l’académie française. Le handicap serait « une infirmité ou une déficience accidentelle ou naturelle, passagère ou permanente, qui entrave l’activité physique ou mentale d’un individu. »
Mais les mouvements de personnes handicapées militent pour une sortie de ce modèle médical, concept introduit par le sociologue Mike Oliver, qui considère la déficience comme la cause du handicap. Bien que la définition de la loi française sur le handicap de 2005 inclue la dimension limitante de la société en le définissant comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération […] d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales […] », elle perpétue ce modèle. La France a d’ailleurs été condamnée par deux fois par les Nations unies pour mauvaises actions en matière de handicap. Marion Cottin conclue qu’il faut « reconnaître la nature social du handicap et pas seulement la causalité sociale. »
Le validisme, un fléau sociétal
Les personnes en situation de handicap doivent faire face à de nombreux obstacles et discriminations : le manque d’accessibilité aux lieux publics, un plus grand risque à la précarité et aux violences physiques et psychologiques… A la source de ces problèmes, le validisme. Charlotte Puiseux le définit au public par la catégorisation et la hiérarchisation des individus entre personnes handicapées et valides. Ce mode de pensée intériorisé par tous empêche de comprendre que le handicap n’est pas lié à la condition physique ou mentale de quelqu’un mais est le résultat d’une société qui ne s’adapte qu’aux besoins de ceux qui la dirige, c’est-à-dire des personnes dites « valides ». Pour résumer, on n’est pas handicapé car on est mal-voyant, on est handicapé car nos infrastructures et nos modes de vie sont faits pour des personnes voyantes.
Le validisme a d’énormes conséquences sur la vie des personnes handicapées. Des conséquences financières d’abord, puisque 61% d’entre elles déclarent que leur niveau de vie s’est dégradé en 10 ans contre 44% chez les personnes valides, d’après le centre d’observation de la société en 2023. Mais aussi sociales et politiques, car elles sont exclues de certaines formes de participation à la société. Les personnes mentalement handicapées devaient jusqu’en 2019 passer devant un juge pour être autorisé à voter. Pourtant, on monte des symboles de l’inclusion de ces personnes comme les athlètes paralympiques. Cette image dissimule l’austérité des coupes budgétaires dans le service public et partage l’idée d’une société en progrès. Ce procédé est appelé « inclusionisme ». En réalité, le peu de chiffres disponibles sur le sujet prouvent que la vie des personnes handicapées ne s’améliore pas.
Axelle Sergent