thème Ces corps que nous sommes
Les philosophes ont longtemps méprisé le corps au profit de l’âme, et les hommes, à leur suite, ont longtemps privilégié la conscience et la volonté sur cette simple matière vivante que serait le corps. À eux, Spinoza répondait dans l’Éthique (1677) : « ils ne savent pas ce que peut le corps ». Depuis lors, le corps a été réévalué, sa puissance enfin interrogée, et les limites qu’on lui imposait questionnées. Mon corps est en effet cet étrange objet entre les objets qui composent le monde. De lui surgit un esprit, qui, peut-être, le transcende tout en lui restant attaché par un lien mystérieux que philosophies et sciences veulent désormais élucider sans privilégier ce qui était autrefois appelé « âme ». De lui, on sait combien il n’est pas seulement accueilli par une communauté mais aussi dressé et marqué culturellement : excisions, scarifications, techniques du corps, canons de beauté, assignation d’un genre… Davantage, mon corps, pourtant caractérisé par son intégrité, ne m’appartient pas.
Aujourd’hui, les corps résistent : l’indisponibilité juridique du corps fait débat (GPA, suicide assisté, don d’organes, eugénisme libéral, prostitution) ; au corps biologique répond désormais le corps socialement construit que l’on peut déconstruire, au corps politique des corps collectifs en lutte, au corps vulnérable et mortel le rêve d’un corps augmenté…
Tels sont les corps que nous sommes aujourd’hui : des corps soucieux d’eux-mêmes, revendiquant un nouveau champ de possibles, et donc en devenir, qui veulent savoir et faire connaître ce qu’ils sont. Citéphilo les met à l’honneur.
Invitée d'honneur Claudine Tiercelin
Agrégée de philosophie, ancienne élève de l’École normale supérieure, Claudine Tiercelin, après avoir soutenu un DEA sous la direction de Pierre Bourdieu à l’EHESS puis, sous la direction de Jacques Bouveresse, un doctorat de troisième cycle sur la philosophie de la connaissance et du langage de Charles Sanders Peirce, a poursuivi ses recherches par un doctorat d’État consacré au problème des universaux chez le même auteur. Élue Professeure au Collège de France en 2010, elle fait entrer pour la première fois le terme de « métaphysique » dans l’intitulé d’une chaire, en devenant titulaire de la chaire « Métaphysique et philosophie de la connaissance ». Membre senior honoraire de l’Institut universitaire de France, membre de l’Institut Jean Nicod, membre de l’Academia Europaea depuis 2012, Claudine Tiercelin a été élue à l’Académie des sciences morales et politiques le 4 décembre 2017.
Claudine Tiercelin sera accueillie les 15, 16 et 17 novembre pour quatre tables rondes afin de permettre au public de Citéphilo d’avoir accès aux débats les plus actuels dans le champ de la connaissance.